Les assidus le savent,
je suis fou de cette table faussement simplette, et vraiment convaincu par ce Chef
de caractère, qui a le bon goût de ne pas proposer les mêmes assiettes que la plupart
de ses collègues étoilés.
La première fois que je
me suis retrouvé nez à nez avec cette carotte nue et imposante, en 2007 ou 2008,
et face à cette assiette toute bête, je me suis aussi posé des questions,
fatalement. La première fois que j’ai croqué dedans, j’ai commencé à
comprendre…
Pareil pour la première
fois que le service se met à me faire une découpe au guéridon d’un chou-rave
cuit en croûte de sel gris, je me suis aussi demandé quelle mouche m’a piqué de
choisir une telle entrée…puis petit à petit j’ai tout compris !
La carotte, quand on y repense, était géniale, respectée dans son entier, et en même temps transfigurée par une cuisson la plus appliquée qui soit, en deux ou trois fois, en deux ou trois heures, pochée, saisie, lustrée pour en faire sortir tous les sucs.
Le chou-rave, lui, avec
sa découpe grand siècle et ses « petits-plus » qui font merveille,
nous fait redécouvrir la notion d’une amertume agréable, d’un terrien exalté,
et on ne s’ennuie pas une seconde avec l’apport d’un jus fumé, d’une belle
huile d’olive, des fleurs de thym ultra-fraîches et de lard émincé².
Ce furent mes premières
rencontres avec ses légumes, quasi tous choisis-cueillis le matin même par le
chef lui-même, dans la désormais fameuse Ferme de Truttenhausen, ce qui fait en
partie la réussite de telles entrées ; le reste, c’est le talent et la
volonté.
Le talent pour nous
faire avaler des assiettes tellement candides, comme ces betteraves de l’an
dernier à la même époque, toujours cuites en croûte de sel, mais flattées par
une poudre de réglisse, excitées par un jet de très vieux balsamique et enrobées
d’un miel fumé.
Il arrive aussi à nous
révéler l’asperge à nouveau en avril 2010, à nous alsaciens pourtant proches de la grande
Clarisse Sibler, en les prenant chez l’immense Robert Blanc (début de saison
oblige), et en servant ces six petites demoiselles surmontées d’un mélange
ail-oignon-échalote-œuf dur ciselé au millimètre, comme une vinaigrette
sèche ; il les accompagne de bulles de citron-total, et d’une casserole de
safranaise, une hollandaise aérienne au citron et safran.
Ça parait très léger et
un peu chichiteux comme ça…mais je peux vous jurer que si vous entrez dans
l’assiette et l’esprit du Chef, vous n’en ressortirez pas indemnes.
Et quand encore plus tôt
dans l’année, en janvier, on vous conseille d’un clin d’œil, « les
asperges du pauvre », vous n’hésiterez plus à suivre ce conseil les yeux
fermés, c’est sans doute la plus belle entrée dégustés dans ces murs, avec ces
jeunes poireaux, dont tout se mange et qui mérite à elles seules un article,
que vous pourrez retrouver ICI !
Vous pourrez alors vous
réjouir chaque fois que vous approchez d’Obernai, en vous demandant qu’elle
évidence de légume vous allez découvrir cette fois-ci, comme cette salade de
haricot croquant, pomme verte et menthe de juillet 2009 si je ne m’abuse, ou
ces tomates de fin d’été 2011, six variétés, grillées quelques secondes-comptées
à la cheminée, pour en faire ressortir la chair et le fruit.
Et puis vous finirez pas
réserver une table seul, pour votre anniversaire, et vous serez toujours aussi
sidéré, cinq-sept ans après votre « première carotte », d’apprécier
votre dernier légume honni : le chou-fleur, qui, ici, en quelques couleurs
(dont le violet, a l’arrière-goût d’amande) et autant de visages, accompagné de
truffe d’automne, qui n’apportent pas grand-chose, conforte le terrien que je
suis.
Vous reviendrez alors à
la plus belle des simplicités, avec ces différentes betteraves en arc-en-ciel,
nappées d’un jus profond aux épices de noël, une énième entrée simple &
gourmande. Chaque variété à sa spécificité, tantôt pesante, tantôt légère,
tantôt tendre, tantôt fraîche, le tout tendu par l’extrait de cannelle et
d’anis étoilée et l’accord en haute altitude avec ce grand vin de grenache, une Sagesse 2005 du
Domaine Gramenon !
Vous aurez alors
compris, depuis longtemps, qu’avec un tel Chef en Alsace, on n’est pas obligé
de se précipiter à Paname pour goûter Passard (qui est 4 fois plus cher), ou de redescendre en urgence chez Rabanel à Arles, même si l’envie
de nous frotter à un menu tout légumes se fait de plus en plus forte désormais.
Et je peux vous jurer
que je n’ai jamais apprécié les assiettes au dénuement total ni aux effets de
mode idiot, alors si je me précipite sur ces entrées légumières depuis plus de
cinq ans, deux fois par an, c’est que ça vaut le coup, et une fois passés les
quelques désagréments dûs aux personnages de gros caractères, vous aussi vous
ne jurerez plus que par ce Chef à nul autre pareil, au moins dans notre belle
et grande région gastronomique…
Tout le Goût est dans la
Nature
in elsass veritas !
4 commentaires:
Les goûts et les couleurs...
Heureusement que tous les goûts sont dans la nature.
de mon côté, pour y avoir été 5 fois, je n'ai pas adhéré, et pourtant Dieu sait que j'aime la subtilité !, Mais là, non...
Certes les légumes sont originaux, mais il y manque la magie, tout du moins celle qui m'enivre les papilles.
On dit généralement qu'un plat parfait marque d'une empreinte indélébile le cerveau, et je l'avoue, j'en aurais 2 ou 3 à vous conter, mais si je garde un souvenir de met dans cette maison, c'est le comté de 24 mois... un Must !
Ne prenez pas cette diatribe pour rancœur, car la qualité et la noblesse des produits servis dans ce restaurant enorgueillissent la cuisine de qualité,
fait hommage aux panses rabelaisiennes, réconcilie la ligne et l'envie, mais ne titille qu'à peine les zones du plaisir qui parcourent mon cerveau.
Amis épicuriens je vous salue bien bas.
M.Anonyme, un avis aussi pondéré et renseigné, même quelque peu négatif, est tout à fait recevable et respectable.
Personnellement j'ai aussi fait entre 6 et 10 repas là-bas depuis 2007, et il est vrai que chaque plat n'est pas resté gravé à tout jamais.
Par contre c'est l'endroit où le plus grand nombre de fois j'ai été touché par un plat, vous retrouverez dans ce blog (et en lien plus bas), mon souvenir ému d'un beau lièvre à la royale, et celui, plus fort encore, d'une truite de l'Adour, simple comme bonjour, dont le souvenir ne me quittera jamais.
Pour ce qui est de ces légumes, pour tout dire, les plus marquants restent mon premier chou-rave en croûte de sel, une salade de haricot à peine évoqué ici, la farandole de betterave de cette année, mais surtout, surtout, ces petits poireaux absolument magnifique...
Comme vous j'aime le beau produit et le geste sûr, mais plus encore, les émotions épicuriennes et cette table m'en donne suffisamment à mon goût.
Merci pour votre avis et n'hésitez pas à revenir nous le donner, mieux encore en le signant d'un simple prénom ou pseudo si vous le souhaitez. Bonne fin de semaine gourmande à vous et aux autres.
http://secretsepicure.blogspot.fr/2012/01/un-lievre-vraiment-royal.html
http://secretsepicure.blogspot.fr/2011/03/un-peu-de-legerete-dans-un-monde-de.html
Méa Culpa...
Je l'avais oublié celui-là, le lièvre à la royale.
J'avoue humblement que je l'ai tout simplement adoré.
Puissance et générosité, saveur et intégralité. Il allume les papilles, furette dans les méandres du plaisir, s'insinue dans la beauté, et nous plonge dans la félicité.
Ah la mémoire, elle nous joue bien des tours
Epicurienement votre
Moi j'ai la mémoire Proust, mes madeleines restent gravées et actuelles à tout jamais... :-)
Au plaisir d'un prochain partage Frédéric.
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