A la fin de cette belle
semaine de quiétude épicurienne dans le Jura et en Savoie, au bout du chemin se
trouvait un "Flocons de Sel" qu’il me fallait absolument goûter, pour mon propre
plaisir bien sûr, mais aussi pour le partager avec vous...
J’arrive donc devant ce chalet qui ne paie pas de mine dans le décor mégevan, et me dirige tout de suite vers ce salon agréable, en demi-niveau et à la décoration de bon ton. Lieu et jour de fête obligent, je me laisse tenter par une coupe de Champagne, un Larmandier-Bernier, mon chouchou, auquel je trouve qu’il manque quelques bulles.
Avec cela, je me jette sur la première bouchée, toujours un bon marqueur pour un repas : un beignet montagnard, au lait, un travail de texture et de fadeur plus intéressant que délicieux. La séquence suivante est un crescendo tout en simplicité : un gâteau savoyard à la betterave-framboise, une tartelette printanière très précise au milieu et un toast au chèvre superbe, fine tranche craquante, quenelle de chèvre piquée d’œufs de poisson…ça y est, on à hâte d’en découdre avec la cuisine du Chef Renaut.
On descend d’un étage en
rêvant de grimper au rideau, on prend possession des lieux et on s’y installe
d’autant plus avec cette cristalline de champignons, en sucré-salé, que l’on
nous dépose. L’effet est superbe, on
profite en deux bouchées de toutes les sensations, sucré-champignons-salé, une
vraie belle idée d’une finesse absolue.
Ensuite on apprécie cette tartelette d’oignon doux-confits et d’oxalys, tout en douceur, avec l’oignon en prééminence prolongé par le végétal léger et discret, et pour en finir avec le commencement, on déguste une petite attention, une « image de printemps », pleine de champignons inconnus - hygrophores et mousserons des prés - et de radis croquants et assaisonnés d’une neige végétale au pourpier des prés.
On commence enfin le
menu-dégustation en tant que tel, avec une assiette finalement assez simplette :
un jaune d’œuf battu à l’Amaretto et des morilles en morceaux. La mousse
épaisse est bien, surtout soulignée par cette amertume discrète. Les
champignons ont un bon goût, mais ils sont un peu en morceaux, voire en charpie,
dommage. L’assiette est parsemée d’une poudre impossible à identifier et, pour
cause, c’est une poudre de charbon de bois…l’effet est superbe, plus dans la
texture de la cendre que dans son goût et c’est bien heureux.
Ensuite débutent les
plats vraiment sérieux, avec une élégante tarte fine aux asperges vertes de
Sénas. Elles ont le goût de la perfection, l’image même du goût qu’on gardait
au fond de nous depuis l’an passé. La tarte inversée est une belle idée
également, tout en légèreté, avec ses petits bouts de pâte - noisette, poudré,
sablé, lié - qui retient le tout ensemble.
On sent qu’on a passé un
cap dans le repas et dans la cuisine du Chef, les trois étoiles sont digérées
et atteintes à chaque assiette ; elles sont de plus en plus simples et
précises, faute d’être vraiment impressionnantes visuellement.
Le consommé qui suit est
l’image même de ce constat : c’est un jus de jardin marqué par le raifort,
une idée simple et formidable. On ressent l’image du petit légume et la touche
irrésistible de la racine. Il est versé sur un parterre de mini-gnocchis de
chou rouge et de panais, recouverts d’une feuille de Beaufort d’été. Le
consommé fait fondre le fromage,
réchauffe les gnocchis, les nourrissent, et eux leurs donnent de leurs
couleurs et de leurs goûts, pour arriver à un superbe tout, très
hiver-printemps.
On poursuit par le fameux « coup de l’eau de gentiane », une idée qui semble évidente aussi, mais que je n’avais pourtant jamais rencontrée personnellement. Un verre givré est rempli d’eau de vie de gentiane que l’on fait tourner pour en imprégner totalement les parois, puis ensuite, très vite, l’eau de vie est enlevée et on vous remplit le verre d’eau gazeuse : effet simple et génial, qui pose dans le paysage et met la bouche en place pour la suite.
Car ce plat de
langoustines est travaillé dans le même jus, avec deux superbes langoustines
totalement englobées dans cette pellicule mousseuse d’agrumes ; tout le
plat tourne autour de la fraîcheur printanière
acide et d’une amertume toute hivernale (navet à la gentiane entre
autres). En bouche c’est très pur, doux en entrée mais très intense finalement.
A la mâche, la langoustine dévoile son côté salin-coquillier qui poursuit
somptueusement l’accord avec l’eau, qui semble dévoiler un goût de gentiane
renforcé, amélioré, débarrassé du superflu. Superbe et totalement à l’image de
cet inter-saison !
On reste dans cet état
de fait, avec une féra simplissime et appréciée comme telle, sans artifice
aucun, pour le plaisir du produit. Le filet est taillé au millimètre et
agrémenté de palet de choux fleurs, de poudre de thé vert matcha et d’une sorte de purée de blanc de poireau.
Cette assiette virginale prend de l’épaisseur grâce à la précision du tout, et, à la moitié de la dégustation, on craque pour ce petit pot de bouillon de
légumes jouissif, beurré et citronné, qu’on nous propose en complément.
Impossible de s’arrêter d’en verser, et de saucer cette sauce qui convient
tellement parfaitement aux nobles poissons lacustres.
Pour en finir avec le
Léman, on passe par l’incontournable gâteau de lotte et de brochet plongé dans
un jus d’oignons grillé. Le plat est comme une nouvelle version de la quenelle
lyonnaise, beaucoup plus léger et donc agréable, en goût comme en texture ;
le jus d’oignons est très séduisant, et les petits à-côtés servent de support à
ce biscuit moelleux au cœur et grillé au bord.
Après cela, j’ai choisi
un ris de veau et grand bien m’en a pris. Il est vraiment au goût du jour, et
malgré la farandole de plats précédents, il a été engouffré en un rien de
temps. Il est totalement blanc au cœur, sans aucune trace désagréable, même
microscopique ; il est posé sur un lit de morilles, accompagné de quelques
carottes confites et d’une mousseline de noisettes. Tout est très lisible et
absolument pas surprenant, et c’est tant mieux, car c’est le plat qu’il me
fallait à ce moment de l’année et de la journée…Le jus à la crème est un nouvel appel au vice auquel je réponds avec appétit et envie !
On poursuit par le grand
chariot de fromage, où je choisis un reblochon fermier assez jeune et peu
affiné, pour débuter, puis quelques tommes en comparaison et des fromages plus
secs encore, comme ce chèvre de la Tarentaise, avec du grain et de la puissance
à revendre. On nous sert d’autorité, avec ces fromages, un verre de vin de noix
maison, une boisson dans le juste tempo, qui égaie la bouche sans la
troubler et qui fait redécouvrir
l’exercice.
On termine ce repas,
sans transition aucune, sur un dessert croquignolet tout plein, un paysage
hivernal qui, au fil du repas, devient de plus en plus d’actualité, les
alentours se saupoudrant une fois encore de flocons de neige désormais, eh
oui…même en fin avril ! Ce bonhomme de neige se pose là et il est en fait
un parfait glacé à la Poire d’Ugine. Le Chef réussit à dynamiser et à éclairer
ce dessert daté, avec un parfait qui porte bien son nom, plus aérien en
n’oubliant pas d’être gourmand, onctueux. La beauté de l’eau de vie de Poire
augmente encore le plaisir de la dégustation.
Il est l’heure de rester
sur place, pour commencer la digestion avec des Chartreuse(s) qui mériteront un
article pour elles seules, tant elles ont été fabuleuses et avec une infusion
de verveine du jardin, accompagnée de chocolats épicés d'anthologie et de gelée de
fruits fort agréable. Je repense alors à ce repas qui, finalement, même s’il m’a
surpris en me ramenant autant en hiver qu’au printemps, a été d’un très haut
niveau : celui où la technique se fait invisible à l’œil et à la papille
nue, où chaque plat à le goût qu’il doit avoir, où on se débarrasse du
superflu. Il était certes moins impressionnant qu’attendu, moins printanier
qu’espéré, plus normé aussi, mais c’est cela aussi le goût des trois étoiles
qu’il faut conserver à chaque service, toute l’année…
J’ai hâte de retrouver,
un jour, dans quelques mois ou années,
la cuisine du Chef Emmanuel Renaut en automne ou en été !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire