Il y a 10 ans, les plats
de chasse m’incommodaient pour diverses raisons, dont la principale était que
je n’en avais pas le goût ; depuis j’ai cheminé sur ma route personnelle
et j’ai élargi ma palette de saveurs. Aujourd’hui, je peux faire près de trois
heures de route pour un dîner dédié, qui plus est s’il est signé Jean-Paul
Jeunet.
Pour rentrer tout de suite dans le doux du sujet et ne pas vous faire languir, je passerai sur les amuse-bouches pour plonger tout de suite dans cette superbe entrée automnale.
Une assiette pleine de touches qui s’ajoutent et s’accumulent et forment un paysage autour d’un flanc de colvert. La cuisson du tronçon est une première précision, étirant la fibre en bouche tout en douceur. On l’accompagne avec ce qui tombe sous la fourchette, des légumes séchés-confits, du marron en purée, du lait battu à la gentiane en mousse épaisse. Les sucs en vinaigrette ramènent vers le viandeux, mais le plus passionnant et giboyeux reste ce « saucisson » d’effilochée de cuisse et de confiseries internes avec plus de gourmandise que de goût, et beaucoup de délicatesse.
Un autre « soit
disant saucisson » arrive en deuxième assiette, perdu au fond d’une
assiette-marmite certes originale, mais pas pratique du tout. Sur ce rouleau, simple comme un vrai sourire,
se pose une cuisse de perdreau un peu trop démontée pour être reconnaissable. A
côté, sur un cube de foie gras à peine cuit, se pose une tartinette qui, même
de loin, sent bon. Finalement, on nous noie le tout dans beaucoup de consommé
de gibier pour faire une assiette étrange. Le plus touchant, dans ce plat,
c’est le roulé de topinambour et de pomme de terre, gorgé de jus et de
consommé. Le perdreau est étonnant, plus sanguin en saveurs, alors que la
viande est très blanche. Au milieu, un peu de tête de veau bien
viandeuse-gélatineuse. A droite, le foie gras est poché joliment, avec ce qu’il
faut de tenue et de fondant, sur lui attend une mouillette pour gourmandin,
pleine de légumes et chair de viande. Le jus mouille tant le tout qu’on finit à
la cuillère cette assiette un peu plus pépère, tellement gentille qu’elle en
est presque adorable.
Sans doute, était-ce le
meilleur tremplin pour l’assiette qui suit, une nouvelle fois très simple à
première vue, presque un peu décevante….jusqu’à que l’on y plonge la
fourchette.
Déjà les émanations donnaient le sourire, mais alors la texture et le goût mes ami(e)s, quel bonheur. Le pressé ultra-gourmand est une spécialité maison qui m’a déjà emporté plusieurs fois mais alors là !
Déjà les émanations donnaient le sourire, mais alors la texture et le goût mes ami(e)s, quel bonheur. Le pressé ultra-gourmand est une spécialité maison qui m’a déjà emporté plusieurs fois mais alors là !
En fait tout est simple, le sanglier a l’air tout entier dans cette barre pleine de goût, de texture, d’effet en bouche. A côté se pose une grosse quenelle de différentes courges en cubes épais avec une pointe de figue, et quelques feuilles frites de sauge et autres légumes qui font beaucoup plus que de la figuration, elles apportent et complètent. Mais on en revient au pressé, enroulé dans du lard du cul noir, avec tous ces morceaux, l’un fondant, l’autre grillé, le dernier spongieux, qui chacun répondent à l’autre, surtout quand le pressé a encore été saisi-grillé pour en concentrer les sucs. Un grand plat de cuisinier et de gourmandise, un morceau de bravoure jurassien et un modèle pour fines gueules sans doute typiquement françaises.
Et le vin, que choisir
avec tout ce goût ? toujours fidèle au plaisir de boire du grand local, où
que je me trouve, et ayant retrouvé une bouteille encavée il y longtemps en
trop faible quantité grâce au sommelier précédent (Stéphane Planche si tu me lis,
encore merci), on décide avec l’homme en place, Alain Guillou, de partir sur un
Trousseau Grands Vergers 2005 de Michel Gahier. Ce vin est incroyable de
classe, de distinction, et nous prouvera toute sa tenue sur tout le repas. Le
jus est tendu et aromatique, sur la suie, le cassis et l’encre de seiche. Il
garde une sacrée énergie malgré une bouche souple, sans doute apportée par des
notes de poivre noir, indien peut-être, qui se développe au fur et à mesure de
la soirée. Un vin très précis et bien décidé, qui tiendra son rang toute la
soirée.
Après cela, il faut,
pour le chef, aller plus loin, et avec ce lièvre à la royale, le chemin est
parcouru sans difficulté tant cette version est intègre et intelligente. Assez
intense, à la limite de la violence, pour contenter les aficionados, et assez
retenu et équilibré pour ne pas rebuter le néophyte, ce plat fait partie de la
grande histoire gastronomique de notre pays.
La couleur de cette
assiette et les effluves, voire les émanations que révèle cette assiette nous
préparent au meilleur. C’est sirupeux, virulent, épais, puissant. C’est un
gâteau qui apprend la sagesse, avec un effet de farce très goûteuse (mais quand
même un peu trop farce), où tout se mêle, de la chair et des abats de lièvre,
du foie gras, des truffes et du sang. Le moins que l’on puisse dire c’est que
ça a du bouquet. L’essence de trompette des morts complète le jus-gélatineux et
la palette de ces goûts forestiers et automnaux. Tout est très bien pe(n)sé et
lié par la force autant que par une certaine délicatesse, parce qu’on a déjà vu
des versions bien plus volontaires et fortes en gueule.
Après ça, je ferai
l’impasse sur le fromage pour me contenter d’un dessert une nouvelle fois bien
pensé et superbement exécuté, avec la poire qui réussit à nous calmer la bouche
et à nous faire revenir dans un monde plus civilisé. Elle est joliment et
agréablement pochée dans le sirop et le trousseau, elle reste très ferme
néanmoins. Pour un peu plus de douceur encore, on plongera la cuillère dans la
quenelle de glace-glacée très poirée. La bouche revenue à plus de candeur on
croque dans la tuile et on plonge les yeux et la fourchette dans le chiboust au
pain d’épice, on casse du bout de la cuillère le sablé au gingembre et on se
régale de ces rouleaux de gelée de trousseau et de fruits d’automne, délicieux.
C’était mon premier
repas « tout chasse » dans un restaurant étoilé et je n’ai pas été
déçu, c’était le moment. 4 gibiers à la file, ça reste un sacré plaisir et ça
fera un souvenir indélébile pour un viandard de mon espèce, surtout des plats
avec autant de franche gourmandise qui essaient toujours de ne jamais oublier
la quête d’une certaine délicatesse. Bien sûr, il doit y avoir mieux, encore
mieux, mais ça sera plus cher, encore plus cher.
Connaissant la maison presque
par cœur – ce doit être mon 12ème repas ces 12 dernières années, chanceux
que je suis – et scrutant cette offre depuis des années, je savais à quoi
m’attendre, en ce sens qu’il ne s’agit sans doute pas là de gibier tout frais,
sortie la vieille de la forêt d’à côté, sinon comment proposer ce menu tous les
jours sur une aussi longue période ? On pourrait le regretter, comme on
pourrait regretter une petite standardisation des assiettes, ou que le lièvre à
la royale, délicieux s’il en est, sorte un peu léger, en goût comme en
quantité, mais comment faire, avec tous ce talent et cette belle volonté qui se
reconnaît à chaque assiette, pour se souvenir de ça et pas de la véritable joie
qui nous étreint le cœur, la pensarde et les tripes après quelques heures
passées en ces murs gastronomiques.
3 commentaires:
Un article qui met l'eau à la bouche. Les photos donnent envie! Merci pour cet article appétissant :)Nous avons également un blog d'actualité vin sur lequel nous publions des articles, d'accords mets & vins notamment. N'hésitez pas à y jeter un coup d’œil ;)
Merci Vinotrip pour vos compliments, désolé pour le retard de publication de votre commentaire, les semaines sont trop courtes en ce moment.
Bravo pour votre activité, plus on est de fous, plus on vit.
Vive l'épicurisme.
AntoineM
Aucun soucis, les fins d'années sont souvent chargées !
Au plaisir de lire d'autres de vos articles ;)
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