Quand on va se faire
plaisir au restaurant, qui plus est dans un étoilé, ce n’est pas pour manger ce
que l’on pourrait se faire à la maison, cela va de soi, mais certains semblent
l’oublier. Pas sur les hauteurs de Sélestat, pas à La Vancelle, ou les frères
Buecher, sourires en coin, n’ont pas fini de nous en faire voir de toutes les
couleurs. Cet automne, une fois encore (l’an dernier je vous parlais de ma
dernière formule jeune ICI), ils m’ont surpris par leur créativité.
Dès les amuse-bouches déjà, avec ce superbe champignon meringué, parfaitement réussi en texture, moins en goût. La croquette thon/cornichons excite aussi l’appétit. La dernière touche roulé de chèvre herbacée est agréable aussi, mais plus molle. Le second service en doublette balance une touche de classicisme et une autre volontairement moderniste : le premier est un pot volaille-écrevisse, avec un jus de carapaces crémées émulsionné, dans le plus pur style bressan. La seconde est un cube de saumon cuit au sucre et au sel, posé sur un coulis végétal et iodé dans une proposition qui me convainc beaucoup moins.
A ce stade on pourrait
avoir peur d’une créativité débridée qui se suffit à elle-même, craindre que
l’envie de surprendre surpasse le besoin de régaler, mais la première entrée
va, directement, nous apaiser et nous exalter à la fois.
Quel tableau…quel
audace, quelle entrée !! Du veau, des moules, des herbes et des agrumes,
plus du navet cendré et une tuile à l’encre de seiche…rien que ça !
On attaque le veau, pour
se rassurer, la viande est excellente, à peine cuite et refroidie et surmontée
de condiments qui servent de marchepied pour l’aider à monter bien plus haut.
Les moules, cuites également à la perfection, séchées puis posées ici ou là,
partagent leur texture avec ce veau coupé à la bonne épaisseur. En mélangeant
les deux, cela ne fait qu’un, tout se fait, tout se fond, le navet à la cendre
d’olive sert de point-virgule et la crisp d’encre de seiche est un point
d’exclamation majeur qui fait boum, avec ou sans moule. Les agrumes et les
herbes finissent de nous exciter, dont une belle compote de citron qui fait
passer cette assiette généreuse et à la lecture multiple pour une de mes
entrées préférées cette année.
Pour la suite, difficile
de nous surprendre encore, difficile et pourtant ils y arrivent. Des praires et
des palourdes planquées dans un voile-wasabi et enroulées dans une tranche de
pancetta, le tout poussé à fond par un caramel d’orange et piment.
L’assiette est un peu
moins riche mais tout aussi incroyable que la précédente, on attaque un rouleau
de charcuterie & crustacés, qui déclinent une identité gras-iodé-fumé-salé,
et juste assez de matière pour aimer à le mastiquer. La raviole wasabi à moins
de caractère, à première vue, mais ce qu’il y a à l’intérieur est toujours
aussi stimulant, avec ses palourdes titillées par des pousses de radis, entre
autres. Pour se reposer la bouche et les sensations, on croque dans la
tartinette de beurre d’algue, léger, qui fait finalement plus ressortir le côté
céréales de la fine tranche de pain ultra-croustillant. Une fois détendu, on
revient au plat et on tombe en pamoison devant le confit d’orange-mandarine,
qui cache en son cœur une pointe d’Espelette réduit, qui donne une véritable sensation
d’accélération et des fourmis dans les papilles.
Convaincu, en deux mots
comme en un, on se laisse porter vers nos surprises, sans même chercher à se
rappeler ce qui va nous arriver, et c’est pile le moment que l’on choisit en
cuisine pour se calmer. Bien que, une écume de polenta, vous aviez déjà mangé ça
vous ? Moi jamais, surtout avec autant de justesse dans le goût et une
vraie signature dans la texture. Bien sûr c’est un peu strange en bouche, mais ça le fait bien avec ces noix de St-Jacques.
Le caviar d’aquitaine apporte le salin, le jus de poulet le salé pour amener un
équilibre et éviter la lourdeur à ce plat moins présentable mais plus gourmand.
Le pain de maïs pourrait être plus marqué en goût, ce plat est également moins brillant
mais il détend.
La viande, finalement,
est presque ultra-classique avec tout ce qu’on a eu avant, une canette au
bouillon de betterave, assez discrète. La viande est poudrée d’un charbon d’olive,
qui apporte ce qu’il faut d’amertume et de fruité noir. La salade de betteraves
tièdes et chaudes est un bon contrepoint, un beau contrepoint, mais qui manque
de goût selon moi. Finalement, ce qui surprend le plus et qui semble être le
plus intelligent, ce sont ces véritables chips qui accompagne la viande, et que
l’on trempe allégrement dans le pot de jus que l’on nous laisse à disposition à
côté de l’assiette. Des chips pour saucer dans un étoilé, il fallait oser,
j’adore ! Bien sûr c’est la viande qui tient l’assiette mais c’est cela
qui me fera m’en rappeler.
Après tout ça, pas
envie, pas besoin de fromage, on file droit vers le dessert, dessert que le
service, absolument impeccable, me propose de prendre en demi-portion pour en
goûter deux de la carte. Bonne idée, belle attention.
Je craque alors pour
celui à la crème de châtaigne et à la mangue, qui est plus bien marqué par le
fruit exotique que par celui qui tombe au pied du restaurant, dommage. Il y a
pas mal d’équilibre et beaucoup de plaisir dans ce dessert, mais j’aurais
préféré et attendu un peu plus de châtaigne.
Ensuite, je tente le
dessert au potimarron épicé et à la pomme. Il est très bon et assez équilibré
aussi, le mou est bien cassé par le biscuit à la noix, il est quasi évident,
même si une nouvelle fois, j’aurais préféré que le potimarron soit plus prégnant,
pour être plus surpris…mais peut être que l’on ne peut pas être éternellement
surpris.
Après cela ils nous
arrivent encore des fournées de mignardises, que l’on mange sans y penser, en
ressassant ce repas franchement créatif et terriblement agréable. Les deux
entrées vont rester longtemps dans ma mémoire gastronomique et les menus de
cette adresse font partie des tous meilleurs rapports qualité/prix/plaisir de
la région, incontestablement.
Que c’est agréable, de
temps à autre, de se frotter à cette gastronomie décomplexée, à ces assiettes
osées ; malgré quelques approximations, on passe un très agréable moment et l’addition est vite oubliée, dernier
des signes qui, selon moi, pour juger de la qualité d’une table et d’un
moment-épicurien, ne trompe pas.
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