Ces derniers mois, j’ai
gravi, certaines fois debout, droit et digne, d’autres fois plus troublé-abattu-résigné,
quelques sommets de la peur primale et plusieurs gouffres aux cieux d’azur…
S’il n’avait fallu qu’un
vin (il y en eut bien d’autres, heureusement) pour symboliser ces bouts de chemins
désastreux qui jalonnent l’existence pour vous amener vers quelques clairières
enchantées, un vin où paraît toute la grandeur de la Vie et bien des
incertitudes de cette même chienne, ce serait, pour moi, cette bouteille de
Château Haut-Brion 1998 !
Cette bouteille, ouverte
à peine sortie la tête de l’eau, en craignant une nouvelle vague, s’avéra
décevante au premier nez, à la première rencontre…comme bien trop souvent pour
ces vins de milliardaires que j’ai heureusement encore connu « touchable »
par le commun des épicuriens obstinés…
Alors, après quelques
expériences mitigées avec Cheval Blanc et Pétrus, voire dans une moindre mesure,
avec La Tâche (souviens-toi en suivant ce lien ICI) et Margaux depuis fin 2006 et après ces derniers mois de poisses collantes,
j’avoue avoir tout de suite pensé à une confirmation de mes craintes :
plus jamais un vin à 3-4 chiffres ne vaudra son prix à mes papilles, et,
surtout…je crois que je suis maudit !?
Mais c’est mal connaître
la vie, ces gouffres qui sont, de fait, toujours les prémices des sommets…alors,
quand, une heure plus tard, je reviens au verre, je m’écrie : « il a
bougé !! » ; certes il reste de cette simplicité un peu
écœurante pour une telle promesse…mais qui sait si le vent, plus globalement,
ne vient pas de tourner….alors, emporté, je carafe le tout, pour voir. Pour
voir, j’ai vu, pour croire, j’ai bu !
Une bordée de jurons les
plus doux qui soit me sont arrivés, ânonnés à voix haute et comme un mantra…je
sais, en buvant du Haut-Brion, ça se fait pas, mais moi je suis comme ça !
Ils furent surtout à la
taille de la surprise, à la hauteur du soulagement…
Tout à coup et sans coup
férir, je suis emporté, subjugué, heureux comme un enfant, à nouveau amoureux
pour la première fois et une fois de plus transi devant une robe de rubis
vermeille, les sens pleins de cent, puis de mille merveilles. Le nez a la
beauté d’une antique mosaïque palatine, que l’on n’appréhende entièrement qu’en
s’approchant du fond de la bouteille, chaque pièce soutient l’autre, apportant
sa touche à l’allégorie finale. La bouche, elle, a le touché irréel et impérial d’une tunique satin brodée d’or,
sur un manteau de velours pourpre et doublé d’une cape d’hermine…
Bien sûr j’aurais pu
vous parler plus précisément. Des reflets subtilement mordorés qui semblaient
se développer, du nez formidable fait de
tous les fruits rouges se complétant de note de tabacs, de cacao torréfié (juste
la fève, mais bien grillée) et de cuir haute-couture, comme de cette bouche où apparaît une touche sanguine qui éclaire ce vin à l’élevage le plus noble qu’il m’ait
été donné de goûter, avec cette sensation d’essence d’ébène, qui pourtant s’intègre
parfaitement au reste. Mais j’aurais pu aussi vous en dire plus sur ces douleurs évoqués plus haut…mais non, de toute façon, ceux qui doivent savoir sont au
courant, et puis, trêve de précisions…Secrets d’Epicure oblige J
Et puis vous l’avez bien
compris : point de prise de notes au paradis, surtout quand on a pris un
fulguro-ascenseur pour y accéder depuis le purgatoire…mais ces
bouteilles-là, comme ces moments de vie ne sont pas analysables, ni ces
myriades de sensations qui nous traversent, elles sont juste à recueillir au
fin fond de soi, à préserver, pour se les rappeler, quoi qu’il en coûte…
Quant à ceux qui
trouvent que ces summums de plaisirs et que ces afflictions profondes sont
« de trop » pour eux, je vous avouerais que, pour la première fois de
ma vie…pour moi aussi ! Que je n’ai qu’une hâte, c’est de retourner à plus
d’équilibre et de réserve…en vin comme en vie ; mais qu’à ne pas douter,
ce n’est qu’au pied des gouffres et en haut des sommets qu’on marque nos existences
de repères indélébiles.
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