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mardi 23 février 2016

Lameloise, version Eric Pras, pour l’amour de la grande cuisine.

A mon grand plaisir, les prochains mois vont me rapprocher professionnellement de la grande Bourgogne ; je devais le sentir, car il y a quelques semaines à peine je choisissais une des adresses mythiques de la région pour parachever ma dernière promenade épicurienne en date.

C’était chez Lameloise, maison sans âge d’un grand village défraîchi et un peu triste, posé au bout de la route des crus les plus célèbres au monde. C’était dans cette maison qui fait partie de l’histoire de la France gourmande, qui a justement et courageusement réussi à franchir le cap du 21ème siècle en passant le relais à un grand Chef avec plein de cuisine dans les mains : Eric Pras.







Arrivé dans cette demeure, on se cache vite dans un petit bout de salon pour s’imprégner des cartes (« Les hommes que les passions peuvent le plus émouvoir sont capables de goûter le plus de douceur en cette vie. ” René D.) et se mouiller les lèvres avec quelques bulles fraîches. Celles-ci accompagneront le 1er jet du jour, des amuses-bouches amusants, qui détendent l’estomac et l’atmosphère : à gauche, un dôme de jambon persillé, bien sans plus, au milieu du pop-corn au beurre d’escargot, vraiment rigolo et à droite, quelques olives vertes Lucques très bonnes, bien charnues et avec beaucoup de finesse.
Le menu choisi, dégustation, comme toujours ou presque pour ma première rencontre avec la cuisine d’un nouveau Chef, on poursuit avec des petites choses déjà plus sérieuses. A gauche, une brioche et escargot, très précise, avec une cagouille qui sait rester discrète mais dont la texture est préservée. La cuillère de truite jurassienne et betterave est plus délicate encore, présente mais tout en discrétion. La tartelette à l’œuf de caille pané est un peu plus décevante, toujours dans cet esprit de retenue mais le jaune ne coule pas, dommage. La dernière touche à droite est plus percutante et pourtant terriblement simplette : deux grandes dentelles de pain de campagne, qui enferme un peu de saucisson lyonnais, du beurre, un peu de radis, l’équilibre est parfait, on a toute la sensation mais le gras est coupé par l’ultra-croustillance du pain.

 

Ainsi installé dans le décor, avec l’envie d’en découdre, on peu passer à table, dans une des nombreuses salles disparates, dans un coin calme. A peine assis vient la dernière mise en bouche, avec cet effeuillé de skreï plus mi-cru que mi-cuit, posé sur un fin velouté de potiron et accompagné de dés et graines de courge légèrement grillés, c’est fin, vraiment très fin (et pour le coup, avec plaisir…ça s’mange sans faim).



Mais nous ne sommes pas venus pour faire un repas de broutilles, aussi bonnes et simplement intelligentes soient-elles, alors on voit donc notre premier plat venir avec grand plaisir.
Arrive donc la langoustine en deux façons, l’une crue marinée, l’autre croustillante, bref rien d’original, ce qui n’empêche pas le plat d’être génial. Même si l’assiette centrale est belle, on tombe tout de suite en arrêt devant la version croustillante dans la petite assiette à droite. Voici une fabuleuse langoustine, épaisse comme rarement, presque énorme et « croustadée » au riz soufflé, comme une version plus occidentale de la tempura, toute en sensation et en délicatesse et très, très gourmande, surtout avec l’ajout d’herbes ciselées et un jus qui apporte une sensation supplémentaire ; pour la première bouchée du repas, ça s’annonce bien !!

Au centre et posé sur un miroir céleri/pomme discret en goût, le palet cru-mariné est surmonté d’une gouttière pleine de crème moutardée, de pomme Granny Smith et de caviar. Tout se mêle magistralement pour une ou deux bouchées marquantes pleines de pureté complexe, explosive en sensation mais qui sait garder une sacrée distinction. 



Pleinement assuré et confiant de passer un grand moment de gastronomie entre les mains de ce vrai Chef-cuisinier, on se laisse aller et le temps devient de plus en plus élastique. On poursuit calmement mais sûrement avec un bar de ligne qui a le bon goût de jouer l’originalité discrète avec cette cuisson : le poisson est confit dans l’huile aromatique et fini à la vapeur, sa chair est fondante un peu comme celle d’une aile de raie, vous savez, le bout qui a collé contre la poêle, dans l’huile et le beurre. Le bouillon joue son rôle également et la cazette du Morvan (noisette torréfiée appréciée des tables étoilées) apporte une douceur forestière et une nouvelle dimension. Mais c’était sans compter sur ces ravioles ouvertes grâce auxquelles on retrouve la mer, avec son mélange de coquillages, de couteaux et de pomelos. C’est équilibré, subtilement original, classique sans classicisme.  




Rapidement le service enchaîne avec le plat le plus visuellement tentateur du menu, dès son arrivée sur table, on se retient le bras pour ne pas sauter dessus et l’avaler en deux-deux. Qu’elle est belle cette Saint-Jacques ainsi intercalée de melanosporum et il nous tarde déjà de goûter en ces poudres magiques qui compose l’assiette principale. Ce montage en strate est tellement précis qu’on hésite une seconde à le ruiner, avant de craquer d’un coup de couteau franc et déterminé. Enfermée dans une feuille de chou, cuite à la vapeur, la chair du saint coquillage est d’une délicatesse incroyable, fondante sans perdre de sa trame, la fermeté des tranches de truffe permet d’apprécier la différence des textures et la complémentarité des goûts. 



La chapelure de truffe dans l’assiette est passionnante aussi, puissante en plein, et il est presque dommage de la calmer avec ce bouillon un peu trop discret pour le coup. A côté de l’assiette, on nous pose une suite : une tasse pleine de chute de Saint-Jacques et de cube d’heliantis, légumes carrément oubliés pour le coup, qui est assez passionnante, surprenante en température car plus chaude que l’assiette principale. L’infusion de barde du coquillage, la poudre de truffe plus ou moins épaisse et la mâche qui fond à la chaleur en font plus qu’une annexe au principal et une véritable touche d’originalité dans ce plat ou rien de dépasse mais où tout est cohérence et douceur.


Poursuivons ensuite par la viande, un toujours appréciable agneau de lait d’Aveyron, sans doute un des premiers de la saison. L’assiette est belle comme tout, la selle et la côte saupoudrées d’un pralin d’ail discret à l’équilibre parfait, qui pousse la saveur de la viande sans la signer. La déclinaison de carotte aussi sait se faire discrète, un peu trop mais au moins sans sur-extraction et goût trop boosté pour être honnête.


Tout est dans la cuisson de la viande, parfaite, avec une côte dont la noix s’apprécie d’autant plus qu’on la trempe dans ce jus pointu et souligné de safran de la région. Il conviendra évidemment, pour tout gourmand qui se respecte, de rogner l’os du bout des doigts pour ne rien en perdre des nuances de gras, de chair, de peau. Les pommes de terre fumées sont passionnantes de précision et de gourmandise aussi, c’est simplement exquis, mais le morceau de bravoure tient dans la selle cuite tellement légèrement et doucement qu’on croirait qu’elle est presque crue. Cela me rappelle bien sûr le plat signature du protégé alsacien d’Eric Pras, Jérôme Jaeglé. Le dernier petit-grand plaisir que révèle cette assiette est cette saucisse d’épaule d’agneau sérieusement épicée et qui, noyée dans le jus, fait merveille, tant et si bien qu’on en mangerait facilement une bonne douzaine. Voilà une nouvelle déclinaison assez classique, mais dont le soin apporté à l’exécution en fait une assiette presque parfaite.


Pour passer au sucré, il nous faudra beaucoup de fraîcheur et parce que la saison dicte sa loi ici aussi, le pré-dessert est une ode aux pamplemousses. Il y a du travail et de la précision à nouveau dans cette petite attention ; les agrumes sont en suprême en dessous, en mousse au milieu, en granité-formidable au- dessus. C’est d’une précision d’horloger et ça claque tant en bouche que l’envie revient en courant. 


Mais pas besoin d’avoir envie pour craquer devant ce formidable dessert « sur la pomme »…ce qu’il doit falloir de boulot pour une telle assiette…et quel plaisir à s’en délecter patiemment, en regardant tourner sa montre. On finit donc fort, autour de la pomme en une assiette complète et ramassée dont tout se détache pourtant en bouche et se rassemble sur les papilles et dans l’esprit. Au cœur de l’assiette, une pomme au four fondante-confite mais qui sait garder de la fibre. 


L’arlette est croustillante et caramélisée, puissante en goût sans prendre la place d’honneur et en dessous se cache tant de délices qu’il est compliqué de tous les lister. Pourtant il y avait un caramel de beurre salé tout en délicatesse en mousse épaisse, un salpicon de pomme crue et  un tartare de pomme mi-cuite, ajoutez à cela un sorbet à la pomme qui déboîte et le bonheur est complet ?


Après tout ça, difficile de lever le camp, ça fait plus de 3-4 heures que l’on est dans la place et on y est bien, on finit alors les mignardises avec une mention spéciale pour le rocher-coco-chocolat-blanc et cœur coulant au fruit de la passion.


Ce repas fut passionnant et délicieux à plus d’un titre, mais de cela j’en étais presque sûr, m’étant renseigné depuis longtemps, tant et si bien que j’y avais déjà organisé à distance l’un ou l’autre moment-épicurien pour des clients alsaciens depuis l’arrivée et la prise en main d’Eric Pras en cuisine. 

C’est délicieux, pointilleux mais sans jamais oublier le produit, la saison et le plaisir…c’est donc tout ce qu’il nous faut, même si je pensais, je l’avoue, être plus subjugué encore. C’est assez classique mais sans jamais ennuyer, bien au contraire, et il y a un véritable joie visible à accueillir une clientèle vraiment très fidèle, preuve s’il en est du plaisir qu’on prend dans cette adresse légendaire qui a su passer un cap et continuer à faire briller une multitude d’étoiles sur nos palais inassouvis.      

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Vous buvez de l'eau pétillante avec tout ces beautés?

Antoine MANTZER a dit…

Non pas vraiment, mais si je me mets à parler des accords mets et vins en plus, je passe à 4 pages pour 1 article ! ;-)

Et puis ce jour, j'y étais "sur la route", alors j'ai fait raisonnable (une coupe, 1 demie de blanc, 2 verres de rouge).

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