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mardi 17 novembre 2015

Villa Lalique, lumière vaporeuse et ciselée, aperçu de l'immortel génie français

Pourquoi parler de délices et de notre goût certain pour la frivolité aujourd’hui ?
Parce que c’est ce que j’ai de mieux à faire, c’est ce qui me (et nous) caractérise, et de toute façon je n’ai rien envie de faire d’autre que me réjouir, re-jouir de ces moments épicuriens qui peuplent ma mémoire, qui me rendent meilleur…et si en plus ça peut rendre malade un sous-homme (pour ne pas dire sous-merde, car même la merde a bien meilleur goût) tendance barbares-arriérés, c’est gagné !!   

Envie d’un peu de lumière ciselée et vaporeuse et besoin de génie français, nécessaire, obligatoire, réflexe de survie, exigence de résistance, cette semaine comme toutes celles qui me restent à vivre.
Alors tout de suite et sans transition, direction la nouvelle table de rêve du Grand Est, pour une formidable compilation de tous nos talents et de tout le génie de la France pour les arts de la table, prélude à l’ART-DE-MIEUX-VIVRE.




Arrivée donc dans cette Villa Lalique, perdue dans le nord de l’Alsace, pas forcément la partie la plus noble et brillante de cette noble et brillante région, pas celle qui attire les foules de touristes et des grands viveurs du monde entier, et pourtant c’est là qu’elle se cache, dans un village sérieusement triste s’il n’était pas paré, ça et là, de vapeur de cristal.

Se rendre dans un lieu aussi high-standing, taster un Chef, même Jean-Georges Klein, moins de 2 mois après son ouverture n’est pas dans mes habitudes, mais j’avais trouvé une bonne raison, ou au moins 4 ou 5 pour m’y rendre, dont mon anniversaire le lendemain, ça c’était avant ce putain de vendredi soir, alors maintenant, promis, quand j’aurais Envie, ça sera largement suffisant pour fêter la vie.
Dire que j’ai encore hésité à ce moment-là à me faire le plus plaisir possible, quelle bêtise, et qu’est-ce que j’ai bien fait de craquer pour le grand menu végétal à pas d’prix…chaque jour est une fête, que vive l’ existence.

Dès que l’on entre ici, en poussant sur les clenches Lalique, en ouvrant les portes Lalique, en tombant instantanément amoureux des naïades Lalique et en voulant caresser les chevaux Lalique (ou inversement), on rêve. 



A peine assis à table, on s’éveille, les papilles d’abord, dans un décor aérien, on ne touche plus le sol, l’assiette ne touche plus la table et arrivent alors trois petites touches en apesanteur, en bas, un potimarron en texture et anguille fumée, déjà très bon, très surprenant. La deuxième volée est meilleure encore, avec ce chips de saumon et ses œufs du même métal, c’est tellement aérien-gourmand que j’en ai oublié instantanément la troisième touche, moins marquante.


Débute alors véritablement le grand menu avec un amuse-bouche en forme d’uppercut d’amour….du grand art et un boulot monstrueux pour quatre cuillérées insoutenables de plaisir et d’intelligence. Impossible à décrire exactement à moins de reprendre une explication de pros qui barberait encore plus tout le monde que mes circonvolutions infinies. La première couche est plus insipide que les autres, elle prépare à la suite, on plonge plus profond, on touche au Graal de l’œuf, un jaune parfait qui cache en son sein mille petits détails qui font les délices diaboliques. Il y a là du salin, du croquant, de l’acidité, des agrumes, ces derniers étant apportés par du ponzu. C’est technique, certes, mais délicieux et ça excite la bouche et l’appétit. Serait-ce le début d’un immense repas ? On y croit. 



La seconde touche est plus technique encore, ça fait presque peur d’imaginer tout ce travail pour une assiette. Ces agrumes citronnés sont en fait une vieille marotte du chef, un peu datée An 2000 pour le coup, que de vouloir tout décliner à foison. Il y a tant de choses qu’il est impossible de tout retenir, sauf que tout est dans la retenue. Je débute alors sur le bord par une corne d’abondance au yuzu, qui sait rester discret au départ mais qui finalement tend la bouche et souligne tout le plat. A part je pioche dans un mélange de royale d’oursin, fromage blanc et sorbet citron vert ; c’est tendre, au départ, et ça se booste tout seul par l’apport du sorbet, une véritable représentation mentale du citron vert. Tellement subjugué par tout ça, on n’a pas envie d’analyser le cœur de l’assiette, ce qu’on sait, c’est sa subtilité, son équilibre, ses petites surprises qui embellissent la dégustation.




Après ça il convient de redescendre sur terre, d’apprécier la légèreté et le buvant des verres Lalique et la justesse du service dans son ensemble ; impossible de croire que cela ne fait que quelques semaines que c’est ouvert, c’est d’une exactitude, d’une classe, d’une précision véritablement digne de la marque. 

Pour finir de redescendre sur terre, le chef vous balance un parfait contrepoint à ce début de repas, un véritable et simple tartare…de betterave. Eh oui, dans ce menu point besoin de viande ni de poisson, même pas de « caviar de truffe au foie gras de turbot albinos de 5 kilos, péché à la main dans un gant serti de diamants bleus ». On se régale proprement d’une betterave crapaudine, on pioche d’abord du bout de la fourchette, puis on y revient, encore et encore, avec un plaisir croissant. L’assaisonnement est tellement juste, tellement bien relevé qu’elle vous ferait croire à de la viande si vous mangiez les yeux bandés, mais nous avons les yeux grands ouverts, comme nos chakras et nos sensations, alors on profite. Le terrien ressort plus encore avec ces quelques feuilles amères sur le côté, la joie arrive avec cette sauce citronnée qui rappelle la béarnaise mais le bonheur est dans le mélange du tout, quand vous aurez enfin mêlé l’œuf de caille avec ce salpicon millimétré de légumes.



Des légumes, rien que des légumes, de la gourmandise et de la précision, c’est ce qui va suivre pour tout ce repas qui restera longtemps gravé en moi et le plat suivant le sera encore plus. Et pourtant ce ne sont que des légumes de saison, et un jus…mais des légumes tout en précision, chacun cuit à la perfection : des carottes, jaunes, blanches, une courge, des vitelottes, un panais, des épinards…et un jus mes amis, un jus qui lie le tout, un des jus qui restera à jamais gravé dans mes souvenirs. Comment est-ce possible de faire un tel jus sans os, sans viande, sans « rien » d’autre que des légumes et du beurre, avec une pointe de balsamique blanc pour redonner du peps. Tout ceci est la franchise poussée à l’extrême, des légumes qui ont le goût de ce qu’ils sont, dans un jus qui en est l’extraction. 




Pour tout vous dire, c’était tellement bon que j’ai saucé jusqu’à la dernière particule de ce jus élémentaire, je trouve ça beau, alors je vous le montre et vous invite à faire de même dès que vous aurez devant vous un jus qui vous plait, car on ne vit qu’une fois, enfin je crois.


Après une telle débauche de fausse simplicité terrienne, voici l’assiette la plus céleste, la plus abstraite, la plus surprenante, sans doute la moins jouissive mais pas la moins intéressante. Telle un « Rothko », du nom du peintre russe et américain en même temps, ce plat a le bon goût de ne ressembler à rien d’autre de connu auparavant. Avec une palette de 4 couleurs, quelle joie de tenter 101 mélanges. Les couleurs ce sont, de bas en haut,  de la carotte, de la betterave blanche, un gel de myrtille et de la betterave jaune. On joue avec son esprit plus qu’avec son affect, pour un plaisir plus intellectuel que primaire, c ‘est le signe d’une grande civilisation quoi qu’en diront jamais les archaïques de tout poil. Le gel de fruit apporte à nouveau une réelle acidité qui dynamise le plat et quelques bêtes grains de sel stimulent les dernières bouchées. Le plat semble se révéler en arrière-bouche, quand revient le goût de chaque légume, il laisse l’esprit libre mais le dérange dans ses certitudes, c’est tout ce dont on a besoin aujourd’hui et demain.




Après ces envolées, retour au niveau du sol, juste au-dessus, juste en-dessous, tout se mêle. Après ces élévations, ça (re)surprend, ça (re)fait du bien, et c’est cohérent. Voici de nouveau un plat d’une apparente simplicité terrienne qui accouche d’un accord en haute altitude. Les ravioles sont parfaites, crémeuses, pleines d’une magnificence de topinambour. Le bouillon plein de légumes et de cèpes, infusés au thé Darjeeling englobe le tout et nous fait fondre à son tour. L’accord avec le verre du jeune-grand Sommelier Romain Iltis est totalement dingue. Il recommande un St Joseph blanc 2013 de Montez et si vous êtes attentifs à votre plaisir, vous aurez alors la surprise (même les pros, revenus de tout) de constater que les ravioles exaltent la texture crémeuse du vin quand le bouillon pousse sur ses aromatiques, un accord comme ça, ce n’est pas plus de 2-3 fois par an, pour les plus chanceux d’entre nous. Le croquant et la finesse d’une râpée de champipi rassure la dent, qui perd de son utilité tant ce plat s’apprécie en une pression douce/heureuse du palais sur ces ravioles fondantes.




Franchement, arrivé à ce point du repas, on se sait plus qu’en attendre, on est déjà arrivé au bout de nous-même et cela suffirait presque à faire oublier les affres du quotidien, mais comme les temps sont durs, on ne crache pas sur un peu de joie supplémentaire, comme celle de voir arriver la prochaine assiette. 

Celle-ci est pleine d’un risotto d’un riz noir et sauvage. Il est lié tendrement par un jus à nouveau bien poussé en acidité qui rappelle celle des fruits rouges. Il y a de la châtaigne, des chanterelles et du topinambour en rondelles, bien croquantes, qui complètent ce plat moins mou qu’il n’y parait. Idem pour la coupelle (Lalique, vous vous en doutez) que l’on vous dépose discrètement, et qui sont des sushis sans soucis, sans poisson, mais des sushis magiques, car une nouvelle fois, à l’aveugle, on retrouve exactement les mêmes sensations, en mieux, que celles apportées par un sushi classique. Quelle est la potion magique dans laquelle trempe ceci le Chef, on ne sait pas, on a même pas envie de savoir, on a juste envie de prendre ce plaisir !  




Pour en finir (avec le salé, rassurez-vous, je n’ai jamais eu plus envie de vivre et de goûter à tout), on se prélasse l’esprit et la bouche dans ce cappuccino pomme de terre et truffe, un plat immortel, un jeu de texture et de bien-être. Sans aucune surprise passée la deuxième bouchée, c’est le plat qui fait du bien, et même plus en ce moment. Il est à l’équilibre gourmand, sans être trop mousseux, bien cremoso, avec une vraie sensation de pomme de terre escortée à chaque bouchée par la truffe qui craque sous la dent et libère dans votre esprit la dose nécessaire de bonheur gustatif.




Ce menu ne s’arrête plus, comme ce compte-rendu, certains n’en peuvent plus, certainement, mais c’est parce qu’ils n’ont pas encore compris que « l’abus, c’est la Vie » (copyright moi-même, quand j’étais étudiant-diant-diant comme celles et ceux fauchés il y a peu). 

Alors pour aller au bout de nous-mêmes, la pâtisserie sort un pré-dessert, parmi les plus impressionnants, sur la mandarine. Celle-ci est magnifiée et démultipliée et arrangée dans un tout petit périmètre. Il est tellement complet-complexe et même puissant en goût, ce pré-déssert, qu’il arrive le tour de force de donner envie d’une suite. La mandarine est en sorbet-parfait en dessous, mais aussi au-dessus en zeste improbable, mêlant la peau confite à la chair fraîche, tout ça en une pièce de quelques millimètres…je n’avais jamais vu ça. Le final anesthésie proprement les papilles quelques secondes en fin de dégustation, c’est étrange, mais avant ça vous aurez adoré le disque de mandarine-meringuée, les émulsions, les éclats biscuités et tout ce qui fait la douceur de vivre.



Voilà le dernier plat, ouf, mince, on ne sait plus que penser. Celui-ci vaut à nouveau le déplacement, avec tout ce que j’aime dedans, des figues, du pain perdu. Les figues sont déclinées sans déclin, elles font le socle et la finalité. La quenelle de glace orange-amer et les billes de Campari apportent un léger équilibre original et le morceau de bravoure est ce cube creux et plein à la fois, autour de la brioche perdue d’anthologie, dedans une crème coulante, presque anglaise, un dernier délice absolu en forme de pied de nez aux soi-disant « raisonnables » qui peuplent notre terre et qui aimeraient nous empêcher d’être ce que nous sommes, gourmands de tout.



Voilà, c’est fini se dit-on, eh bien non, passez par le salon-digestif, c’est un ordre, vous y retrouverez une sélection complète des meilleurs spiritueux et les plus belles eaux-de-vie (il en manque une néanmoins). Vous y serez installés dans un cocon où même les accoudoirs sont en cristal et où la vie est belle comme dans un songe. Vous y apprécierez cafés, tisanes, et mignardises, elles aussi parfaites en tout point et dont je vous épargnerai, à ce stade, la description.




Arrivé à ces extrémités, je me disais qu’elle est bien loin la déception et la méfiance qui furent les miennes un jour de 2009 à l’Arnsbourg (et que j’avais gardées pour mes potes et mes clients, si, si, vous avez qu’à vérifier sur mon blog), je me disais que les projets forment la jeunesse et que Jean-Georges Klein, le Chef, et surtout ses assiettes, avait perdu 15 ans d’un coup. Je rigolais alors par avance du désarroi du Michelin pour sortir une notation pour cette adresse, une étoile, ça serait un scandale, deux un minimum, trois une petite révolution nécessaire. 

Car, après cette fin de semaine cruelle, comme après janvier (souviens-toi ICI), il en faudra des bonnes révolutions pour que ce monde tourne à nouveau un peu plus rond, il faudra peut-être, sans doute, changer certaines choses, y compris en profondeur, mais il ne faudra jamais oublier ce que nous sommes, des civilisés qui ont troqué la violence pour la jouissance, des hommes et des femmes de conscience qui essaient, autant que faire se peut, de sortir par le haut de toute situation.


Notre civilisation n’est pas meilleure que les autres, l’homme est un loup pour l’homme, ça fait longtemps qu’on le sait, mais au moins, on pense, on essaie, on s’applique. 
Et puis après on se laisse aller, on va trop loin dans la démesure, on ne fait pas toujours attention à son voisin, à son prochain, mais on a le goût du génie et de la vie plutôt que de la barbarie, nous.


Rejoignez-nous, plus on est de fous, plus on vit !!!

2 commentaires:

Bruno Bosselin a dit…

Tout est magnifique, tant pour l'oeil que je suppose pour le palais. Superbe.

Bruno

Antoine MANTZER a dit…

Merci Bruno, effectivement c'était grand.
AntoineM

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