Pourquoi parler de
délices et de notre goût certain pour la frivolité aujourd’hui ?
Parce que c’est ce que j’ai de mieux à faire, c’est ce qui me (et nous) caractérise, et de toute façon je n’ai rien envie de faire d’autre que me réjouir, re-jouir de ces moments épicuriens qui peuplent ma mémoire, qui me rendent meilleur…et si en plus ça peut rendre malade un sous-homme (pour ne pas dire sous-merde, car même la merde a bien meilleur goût) tendance barbares-arriérés, c’est gagné !!
Parce que c’est ce que j’ai de mieux à faire, c’est ce qui me (et nous) caractérise, et de toute façon je n’ai rien envie de faire d’autre que me réjouir, re-jouir de ces moments épicuriens qui peuplent ma mémoire, qui me rendent meilleur…et si en plus ça peut rendre malade un sous-homme (pour ne pas dire sous-merde, car même la merde a bien meilleur goût) tendance barbares-arriérés, c’est gagné !!
Envie d’un peu de
lumière ciselée et vaporeuse et besoin de génie français, nécessaire,
obligatoire, réflexe de survie, exigence de résistance, cette semaine comme
toutes celles qui me restent à vivre.
Alors tout de suite et
sans transition, direction la nouvelle table de rêve du Grand Est, pour une formidable
compilation de tous nos talents et de tout le génie de la France pour les arts
de la table, prélude à l’ART-DE-MIEUX-VIVRE.
Arrivée donc dans cette
Villa Lalique, perdue dans le nord de l’Alsace, pas forcément la partie la plus
noble et brillante de cette noble et brillante région, pas celle qui attire les
foules de touristes et des grands viveurs du monde entier, et pourtant c’est là
qu’elle se cache, dans un village sérieusement triste s’il n’était pas paré, ça
et là, de vapeur de cristal.
Se rendre dans un lieu
aussi high-standing, taster un Chef, même Jean-Georges Klein, moins de 2 mois
après son ouverture n’est pas dans mes habitudes, mais j’avais trouvé une bonne
raison, ou au moins 4 ou 5 pour m’y rendre, dont mon anniversaire le lendemain,
ça c’était avant ce putain de vendredi soir, alors maintenant, promis, quand
j’aurais Envie, ça sera largement suffisant pour fêter la vie.
Dire que j’ai encore
hésité à ce moment-là à me faire le plus plaisir possible, quelle bêtise, et
qu’est-ce que j’ai bien fait de craquer pour le grand menu végétal à pas
d’prix…chaque jour est une fête, que vive l’ existence.
Dès que l’on entre ici,
en poussant sur les clenches Lalique, en ouvrant les portes Lalique, en tombant
instantanément amoureux des naïades Lalique et en voulant caresser les chevaux
Lalique (ou inversement), on rêve.
A peine assis à table,
on s’éveille, les papilles d’abord, dans un décor aérien, on ne touche plus le
sol, l’assiette ne touche plus la table et arrivent alors trois petites touches
en apesanteur, en bas, un potimarron en texture et anguille fumée, déjà très
bon, très surprenant. La deuxième volée est meilleure encore, avec ce chips de
saumon et ses œufs du même métal, c’est tellement aérien-gourmand que j’en ai
oublié instantanément la troisième touche, moins marquante.
Débute alors
véritablement le grand menu avec un amuse-bouche en forme d’uppercut
d’amour….du grand art et un boulot monstrueux pour quatre cuillérées
insoutenables de plaisir et d’intelligence. Impossible à décrire exactement à
moins de reprendre une explication de pros qui barberait encore plus tout le
monde que mes circonvolutions infinies. La première couche est plus insipide
que les autres, elle prépare à la suite, on plonge plus profond, on touche au
Graal de l’œuf, un jaune parfait qui cache en son sein mille petits détails qui
font les délices diaboliques. Il y a là du salin, du croquant, de l’acidité, des
agrumes, ces derniers étant apportés par du ponzu. C’est technique, certes,
mais délicieux et ça excite la bouche et l’appétit. Serait-ce le début d’un
immense repas ? On y croit.
La seconde touche est
plus technique encore, ça fait presque peur d’imaginer tout ce travail pour une
assiette. Ces agrumes citronnés sont en fait une vieille marotte du chef, un
peu datée An 2000 pour le coup, que de vouloir tout décliner à foison. Il y a
tant de choses qu’il est impossible de tout retenir, sauf que tout est dans la
retenue. Je débute alors sur le bord par une corne d’abondance au yuzu, qui
sait rester discret au départ mais qui finalement tend la bouche et souligne
tout le plat. A part je pioche dans un mélange de royale d’oursin, fromage
blanc et sorbet citron vert ; c’est tendre, au départ, et ça se booste
tout seul par l’apport du sorbet, une véritable représentation mentale du
citron vert. Tellement subjugué par tout ça, on n’a pas envie d’analyser le
cœur de l’assiette, ce qu’on sait, c’est sa subtilité, son équilibre, ses
petites surprises qui embellissent la dégustation.
Après ça il convient de redescendre sur terre, d’apprécier la légèreté et le buvant des verres Lalique et la justesse du service dans son ensemble ; impossible de croire que cela ne fait que quelques semaines que c’est ouvert, c’est d’une exactitude, d’une classe, d’une précision véritablement digne de la marque.
Pour finir de redescendre sur terre, le chef vous balance un parfait contrepoint à ce début de repas, un véritable et simple tartare…de betterave. Eh oui, dans ce menu point besoin de viande ni de poisson, même pas de « caviar de truffe au foie gras de turbot albinos de 5 kilos, péché à la main dans un gant serti de diamants bleus ». On se régale proprement d’une betterave crapaudine, on pioche d’abord du bout de la fourchette, puis on y revient, encore et encore, avec un plaisir croissant. L’assaisonnement est tellement juste, tellement bien relevé qu’elle vous ferait croire à de la viande si vous mangiez les yeux bandés, mais nous avons les yeux grands ouverts, comme nos chakras et nos sensations, alors on profite. Le terrien ressort plus encore avec ces quelques feuilles amères sur le côté, la joie arrive avec cette sauce citronnée qui rappelle la béarnaise mais le bonheur est dans le mélange du tout, quand vous aurez enfin mêlé l’œuf de caille avec ce salpicon millimétré de légumes.
Des légumes, rien que
des légumes, de la gourmandise et de la précision, c’est ce qui va suivre pour
tout ce repas qui restera longtemps gravé en moi et le plat suivant le sera
encore plus. Et pourtant ce ne sont que des légumes de saison, et un jus…mais
des légumes tout en précision, chacun cuit à la perfection : des carottes,
jaunes, blanches, une courge, des vitelottes, un panais, des épinards…et un jus
mes amis, un jus qui lie le tout, un des jus qui restera à jamais gravé dans
mes souvenirs. Comment est-ce possible de faire un tel jus sans os, sans
viande, sans « rien » d’autre que des légumes et du beurre, avec une
pointe de balsamique blanc pour redonner du peps. Tout ceci est la franchise
poussée à l’extrême, des légumes qui ont le goût de ce qu’ils sont, dans un jus
qui en est l’extraction.
Pour tout vous dire, c’était tellement bon que j’ai saucé jusqu’à la dernière particule de ce jus élémentaire, je trouve ça beau, alors je vous le montre et vous invite à faire de même dès que vous aurez devant vous un jus qui vous plait, car on ne vit qu’une fois, enfin je crois.
Après une telle débauche
de fausse simplicité terrienne, voici l’assiette la plus céleste, la plus abstraite,
la plus surprenante, sans doute la moins jouissive mais pas la moins
intéressante. Telle un « Rothko », du nom du peintre russe et
américain en même temps, ce plat a le bon goût de ne ressembler à rien d’autre
de connu auparavant. Avec une palette de 4 couleurs, quelle joie de tenter 101
mélanges. Les couleurs ce sont, de bas en haut,
de la carotte, de la betterave blanche, un gel de myrtille et de la
betterave jaune. On joue avec son esprit plus qu’avec son affect, pour un
plaisir plus intellectuel que primaire, c ‘est le signe d’une grande
civilisation quoi qu’en diront jamais les archaïques de tout poil. Le gel de
fruit apporte à nouveau une réelle acidité qui dynamise le plat et quelques
bêtes grains de sel stimulent les dernières bouchées. Le plat semble se révéler
en arrière-bouche, quand revient le goût de chaque légume, il laisse l’esprit
libre mais le dérange dans ses certitudes, c’est tout ce dont on a besoin
aujourd’hui et demain.
Après ces envolées,
retour au niveau du sol, juste au-dessus, juste en-dessous, tout se mêle. Après
ces élévations, ça (re)surprend, ça (re)fait du bien, et c’est cohérent. Voici
de nouveau un plat d’une apparente simplicité terrienne qui accouche d’un
accord en haute altitude. Les ravioles sont parfaites, crémeuses, pleines d’une
magnificence de topinambour. Le bouillon plein de légumes et de cèpes, infusés
au thé Darjeeling englobe le tout et nous fait fondre à son tour. L’accord avec
le verre du jeune-grand Sommelier Romain Iltis est totalement dingue. Il
recommande un St Joseph blanc 2013 de Montez et si vous êtes attentifs à votre
plaisir, vous aurez alors la surprise (même les pros, revenus de tout) de constater
que les ravioles exaltent la texture crémeuse du vin quand le bouillon pousse sur
ses aromatiques, un accord comme ça, ce n’est pas plus de 2-3 fois par an, pour
les plus chanceux d’entre nous. Le croquant et la finesse d’une râpée de champipi
rassure la dent, qui perd de son utilité tant ce plat s’apprécie en une
pression douce/heureuse du palais sur ces ravioles fondantes.
Franchement, arrivé à ce
point du repas, on se sait plus qu’en attendre, on est déjà arrivé au bout de
nous-même et cela suffirait presque à faire oublier les affres du quotidien,
mais comme les temps sont durs, on ne crache pas sur un peu de joie
supplémentaire, comme celle de voir arriver la prochaine assiette.
Celle-ci est pleine d’un risotto d’un riz noir et sauvage. Il est lié tendrement par un jus à nouveau bien poussé en acidité qui rappelle celle des fruits rouges. Il y a de la châtaigne, des chanterelles et du topinambour en rondelles, bien croquantes, qui complètent ce plat moins mou qu’il n’y parait. Idem pour la coupelle (Lalique, vous vous en doutez) que l’on vous dépose discrètement, et qui sont des sushis sans soucis, sans poisson, mais des sushis magiques, car une nouvelle fois, à l’aveugle, on retrouve exactement les mêmes sensations, en mieux, que celles apportées par un sushi classique. Quelle est la potion magique dans laquelle trempe ceci le Chef, on ne sait pas, on a même pas envie de savoir, on a juste envie de prendre ce plaisir !
Pour en finir (avec le
salé, rassurez-vous, je n’ai jamais eu plus envie de vivre et de goûter à
tout), on se prélasse l’esprit et la bouche dans ce cappuccino pomme de terre
et truffe, un plat immortel, un jeu de texture et de bien-être. Sans aucune
surprise passée la deuxième bouchée, c’est le plat qui fait du bien, et même
plus en ce moment. Il est à l’équilibre gourmand, sans être trop mousseux, bien
cremoso, avec une vraie sensation de pomme de terre escortée à chaque bouchée
par la truffe qui craque sous la dent et libère dans votre esprit la dose
nécessaire de bonheur gustatif.
Ce menu ne s’arrête
plus, comme ce compte-rendu, certains n’en peuvent plus, certainement, mais
c’est parce qu’ils n’ont pas encore compris que « l’abus, c’est la Vie »
(copyright moi-même, quand j’étais étudiant-diant-diant comme celles et ceux fauchés
il y a peu).
Alors pour aller au bout
de nous-mêmes, la pâtisserie sort un pré-dessert, parmi les plus
impressionnants, sur la mandarine. Celle-ci est magnifiée et démultipliée et
arrangée dans un tout petit périmètre. Il est tellement complet-complexe et
même puissant en goût, ce pré-déssert, qu’il arrive le tour de force de donner
envie d’une suite. La mandarine est en sorbet-parfait en dessous, mais aussi au-dessus
en zeste improbable, mêlant la peau confite à la chair fraîche, tout ça en une
pièce de quelques millimètres…je n’avais jamais vu ça. Le final anesthésie
proprement les papilles quelques secondes en fin de dégustation, c’est étrange,
mais avant ça vous aurez adoré le disque de mandarine-meringuée, les émulsions,
les éclats biscuités et tout ce qui fait la douceur de vivre.
Voilà le dernier plat,
ouf, mince, on ne sait plus que penser. Celui-ci vaut à nouveau le déplacement,
avec tout ce que j’aime dedans, des figues, du pain perdu. Les figues sont
déclinées sans déclin, elles font le socle et la finalité. La quenelle de glace
orange-amer et les billes de Campari apportent un léger équilibre original et
le morceau de bravoure est ce cube creux et plein à la fois, autour de la
brioche perdue d’anthologie, dedans une crème coulante, presque anglaise, un
dernier délice absolu en forme de pied de nez aux soi-disant
« raisonnables » qui peuplent notre terre et qui aimeraient nous
empêcher d’être ce que nous sommes, gourmands de tout.
Voilà, c’est fini se
dit-on, eh bien non, passez par le salon-digestif, c’est un ordre, vous y retrouverez
une sélection complète des meilleurs spiritueux et les plus belles eaux-de-vie
(il en manque une néanmoins). Vous y serez installés dans un cocon où même les
accoudoirs sont en cristal et où la vie est belle comme dans un songe. Vous y
apprécierez cafés, tisanes, et mignardises, elles aussi parfaites en tout point
et dont je vous épargnerai, à ce stade, la description.
Arrivé à ces extrémités,
je me disais qu’elle est bien loin la déception et la méfiance qui furent les
miennes un jour de 2009 à l’Arnsbourg (et que j’avais gardées pour mes potes et
mes clients, si, si, vous avez qu’à vérifier sur mon blog), je me disais que
les projets forment la jeunesse et que Jean-Georges Klein, le Chef, et surtout
ses assiettes, avait perdu 15 ans d’un coup. Je rigolais alors par avance du désarroi
du Michelin pour sortir une notation pour cette adresse, une étoile, ça serait
un scandale, deux un minimum, trois une petite révolution nécessaire.
Car, après cette fin de semaine
cruelle, comme après janvier (souviens-toi ICI), il en faudra des bonnes
révolutions pour que ce monde tourne à nouveau un peu plus rond, il faudra
peut-être, sans doute, changer certaines choses, y compris en profondeur, mais
il ne faudra jamais oublier ce que nous sommes, des civilisés qui ont troqué la
violence pour la jouissance, des hommes et des femmes de conscience qui essaient,
autant que faire se peut, de sortir par le haut de toute situation.
Notre civilisation n’est
pas meilleure que les autres, l’homme est un loup pour l’homme, ça fait
longtemps qu’on le sait, mais au moins, on pense, on essaie, on
s’applique.
Et puis après on se
laisse aller, on va trop loin dans la démesure, on ne fait pas toujours
attention à son voisin, à son prochain, mais on a le goût du génie et de la vie
plutôt que de la barbarie, nous.
Rejoignez-nous, plus on
est de fous, plus on vit !!!
2 commentaires:
Tout est magnifique, tant pour l'oeil que je suppose pour le palais. Superbe.
Bruno
Merci Bruno, effectivement c'était grand.
AntoineM
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