Lors d’un détour heureux
de fin d’année dernière, j’ai enfin eu le temps - et les moyens - de m’arrêter
quelques heures dans les infréquentables venelles dijonnaises, goûter à la
cuisine de celui que j’avais repéré depuis une petite dizaine d’années,
aujourd’hui 2zétoilesmichelin : le Chef William Frachot !
J’ai mis du temps à vous
en faire le récit – beaucoup de travail en ce moment, merci à vous mes clients,
car sans vous, moins de liberté pour moi – mais vous allez voir que ça valait
le coup d’attendre : quel magnifique menu, quelle belle cuisine qui,
excitant les papilles et cajolant l’appétit, va droit au cœur.
On débute par
l’amuse-bouche qui va bien, un pied et demi dans la région, le reste dans la
précision. On goûte alors à la douceur vineuse d’une tartelette-meurette à
l’œuf de caille, on croque dans un cromesqui de jambon persillé tiède, un peu
sec mais bien senti, puis on retourne à la tartelette avec des escargots, bien
sans plus, avant de finir sur une tartinette d’une rillette de lapin-moutarde
en grain, agréable et suave. Ceux qui
suivent de près l’actualité gastronomique de notre pays connaissent cette série
en place depuis (trop ?) longtemps.
Heureusement vient, tout
de suite après, la première inspiration du moment, une vraie, une qui vous sort
de vos habitudes dans l’instant. La dernière mise en bouche est déjà un petit
monument, avec des tripes et du calamar dedans !! Ce rouleau est petit
mais énorme, avec du gras et du frais, du frit et du froid et cette texture du
calamar qui apporte la mâche et qui développe les saveurs. Le jus de poisson
réchauffe le tout et le ramène vers la mer, dont le sel nous met en appétit.
Commence alors le
« menu signature » que j’ai demandé le plus libre possible, faisant ôter
le fromage pour rajouter un demi-plat, mais sans rien « imposer »,
histoire de goûter le plus possible à l’esprit du chef, chef qui lit dans mes
pensées avec cette première entrée…chaude, s’il vous plaît.
En fin novembre-début décembre comme en ce moment, quoi de mieux que de réchauffer l’atmosphère directement avec ce sublime ris de veau truffé. C’est une attention remarquable de commencer par cette petite pommette parfaite de ris, tendre, chapelurée de brioche grillée, posée sur une purée tout en finesse et en goût de topinambour, elle-même poussée vers le fruité par le kalamansi, confit pour l’occasion. Le jus de « côte de veau très grillée » (appellation compliqué mais exercice joyeux s’il en est) ramène le tout vers le principal : procurer un plaisir immense au client. A noter que le cœur du ris est sérieusement truffé, avec de vrais morceaux de plusieurs grammes qui infusent à l’intérieur du ris…génial ! Tellement que je ne l’ai pas pris en photo.
Le plus compliqué quand,
on commence un menu à ce niveau, est de poursuivre le crescendo. Le second
plat, à priori une autre « simplicité », touche à nouveau au cœur.
Des ravioles comme celles-ci, je n’en avais jamais mangé d’aussi bonnes.
C’est
simple pourtant le bonheur, une pâte (infaisable à la maison : équilibre
entre élasticité-humidité et finesse) qui enferme une mélange St-Jacques/foie
gras cru. Fondant mou et fondant ferme. Le tout est posé sur quelques feuilles
d’épinards tombées au jus. On voit bien que cette cuisine est faite bien plus
pour le client que pour la gloire, pour lui donner du plaisir plus que de
l’importance. Elles sont majestueuses en bouche, ces ravioles, même si le
bouillon mousseux et les éclats de truffes ne servent à rien.
Ensuite nous continuons
à remonter en température, avec des lichettes de bar cru qui nous arrivent,
posées sur ces assiettes trouées pour prestidigitateurs culinaires. Sur ce bar
translucide, on nous verse un bouillon de coquillages et de shiso pour les
cuire quelques secondes comptées et laisser le bouillon s’échapper on ne sait
où (mais on se doute).
Le poisson cru-chaud
est superbe, boosté par une coque pour le marin et par un peu de citron-caviar
(rouge celui-ci), pour faire vibrer la bouche. Une fois cela (vite) fini, on
vient nous soulever le socle qui coupe l’assiette en deux et, sous la partie
visible, se cache un dos de bar qui repose dans un bouillon plus complet
encore, plus porté par le coquillage. Le tronçon est impeccablement cuit,
saignant ou presque, en tout cas autant que puisse l’être un poisson. La peau
est grillée à vif, la chair serrée et restant nacrée repose dans un ensemble
douillet composé de jus d’algues, de bouillon de coquillages, très légèrement
crémé, dans lequel on retrouve des moules, des coques, des pieds de mouton,
tout au diapason. Poisson qui s’en
dédit !
Voici alors la venue de
mon demi-plat++ qui me fait me féliciter d’avoir sauté le fromage pour
ça : un bœuf gras Simmenthal, maturé 100 jours pour mon plus grand
plaisir, et juste servi avec un peu d’un jus gras et profond, relevé au poivre
Penja.
Sélection et morceaux du chef qu’il partage avec moi sans que j’ai à le
demander, je crois qu’il lit dans mes pensées, et vous savez quoi, j’en suis
ravi !! Ce bœuf à un goût viandeux fabuleux de carn’exceptionnelle et de
grillé-noisetté. On y retrouve plus de la moitié de gras-jaune mais tout le
monde comprendra vite qu’il faut le manger avec, voire finir l’assiette en ne
mangeant plus que ça, trempé dans le jus, pour un grand plaisir joyeusement
décadent. Mais même sans cela la chair
est formidablement fondante et a le goût d’un élevage en liberté et d’une mort
rassurée. Un demi-plat en mode « Géant/Gentil », un seul mot,
merci !
Tout ceci n’était en
fait qu’un prétexte pour me préparer à sa dernière création salée, son lièvre à
« sa » royale !
Vous le constatez, on
est là dans une version remaniée à sa sauce de la fameuse recette originelle,
et millésimée 2014, revue et corrigée pour la 4ème fois depuis ses
débuts. Les râbles sont fraichement et simplement cuits, accompagnés d’un
boudin incredible (plus que créole), d’un
peu de foie gras et d’une conchiglie qui reprend un peu de tout. La viande
garde la mâche et le côté sauvage, mais sa nudité le fait plus facile à
apprécier. Le foie gras ajoute de la joie et de l’amplitude au pointu du
jus-sirop-royal. Le boudin d’abats est fort en gueule mais il passe bien,
sanguin, mais pas trop, restant commodément gourmand.
Ce plat me fait penser à un « lièvre à la royale pour tous », respectant l’esprit de la recette mais en l’adaptant au goût d’aujourd’hui pour plaire au plus grand nombre ; moi ça me va très bien, les amateurs d’une certaine violence de ces fragrances old-school, resteront un peu sur leur faim. Le tout est saupoudré allègrement d’éclats de truffe qui croquent sous la dent et qui lient toutes les composantes de l’assiette, qui finit magnifiquement cette série de plats tout en nuances de chaleur.
J’avoue ensuite qu’avec
tout ça, et la route restant devant moi, les desserts ont moins fait effet ;
j’attendais pourtant avec impatience le premier, pensé autour des citrons de
Monsieur Bachès, homme mondialement reconnu par tous les food’table de mon
espèce. Le dessert est à la bonne place, en mousse, en meringue, en gel, en
glace et en crème, les citrons lavent les papilles et éclaircissent l’esprit.
L’acidité est pourtant peu marquée, le tout est très doux tout en restant
vivifiant, mais il manque un peu du génie présent auparavant.
Reste alors à se
promener dans cette dernière assiette, dans ce jardin sucré-forestier ou tout n’est que douceur finement
chocolatée. Cette fève Carupano, on la retrouve en éclat et en mousse légère,
en crème plus marquée et mêlée aux cèpes dans un mélange fort agréable, mais en
deçà de mes souvenirs marconiens. Ce dessert est remarquable néanmoins, et on
le finit très rapidement, regrettant juste qu’il n’aille pas plus loin.
J’avais eu du nez
semble-t’il, car il est en pleine bourre actuellement William Frachot, et s’il
n’est peut-être pas encore au sommet de son art, il est sans doute arrivé aux
max de ce qu’il peut faire de mieux, dans cette salle du sympathique hôtel
Chapeau Rouge, qui, pour attirer les fines gueules, lui doit beaucoup. Le repas, dans sa partie salée, fut parfait,
il faut le dire, tout en nuance de chaud quand d’autres nous impose la moitié
du menu-dégustation en assiette froide/tiède. Les assiettes sont franches et
franchement volontaires dans leurs envies de régaler le client, le chaland, le
gourmand, « tout simplement ».
Cuisine de haut niveau pour produits de haut vol, il me tarde déjà d’y retourner deux fois…
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