St Tropez, terre de
luxe, calme, volupté et de toutes les extravagances, manquait d’une Cuisine,
d’une vraie, d’une juste, où la haute gastronomie se mette au niveau de l’âme
de la cité. La Résidence de La Pinède nous l’apporte sur un plateau - doré sur
tranche bien sûr - en laissant les mains et la table libres à son jeune Chef
Arnaud Donckele, enfin !
Alors moi qui abhorre de
plus en plus le luxe puant de quelques Brics (rayez et remplacez par qui vous
voulez…le mauvais goût n’ayant pas frontière) se vidant des Jéroboams à la tête
quand nous rêverions de partager une seule de ces bouteilles avec quelques
vrais beaux vivants…je n’ai donc jamais goûté les tables des palaces à la sauce
St-Trop tant, ni la cuisine, ni le service ne valaient le tiers du prix
demandé, ou le quart de la beauté de ce village (hors saison only).
Alors comme on donne,
depuis peu, trois étoiles à quelques assiettes de pur terroir tropézien, et que
votre serviteur a la plus belle des nouvelles à fêter, il se paie le Luxe
d’aller goûter…
Goûter au plaisir de musarder en route, un antique album des Stones (You can’t always get what you want…évidemment) en fond sonore, et de prendre le raccourci des vignes qui vous fait passer pour un gars du cru (*), classe ultime s’il en est.
Goûter à la vue depuis
cette dernière anse avant ce petit port magnifique, encore quelque peu vérolée
par les plus gros monstres à pavillons fiscaux mais qui va, cette semaine,
laisser (enfin également) place aux superbes voiliers qu’on préférerait voir
rester à l’année.
Goûter à la terrasse, aux pins vénérables livrés aux éléments et torturés par le foehn-fun tropézien, avant de plonger dans la cuisine passionnante du Chef en présence.
Alors, sans plus vous faire patienter, allons-y gaiement, avec un panel de mise en bouche qui rassure, comme cet arbre à guimauve thym-pignon, quelques beignets de cigalon, et un pane carasau, tuile à la sicilienne, fort en herbes et fenouil et qui fait la meilleur part de la triplette. Ensuite on nous pose une assiette de la mer qui finit de nous tranquilliser, avec un murex en persillade, sorte de gros escargots marin et une coupe de compote de la mer, avec un maelström de coquillages et une écume saline. Voilà qui met en appétit et ne manque pas d’air.
Nous passons à table
ensuite, dans cette salle élégante où, cependant, le plus beau reste la vue et
la méduse figée dans le cristal qui, seule, lui donne encore plus de cachet.
Puis, rapidement, on entre
dans le vif du sujet et dans cette « balade épicurienne » promise,
avec une sorte de sushi méditerranéen : deux lames de sériole (sorte de
thon d’ici) qui enserrent l’effilochée de chair d’araignée locale, appellée
esquinado. Le tout a mariné dans un jus savant à base de mandarine, qui sert
ensuite à napper le sushi et qui propulse l’ensemble. Ils sont accompagnés
d’une nacre de légumes crus-cuits-tempurés et d’une mini-boule de glace au miel
qui fait un doux lien entre toutes ces petites touches d’un début de
perfection.
Sériole et chair d’esquinado marinés à la mandarine Berlugane,
Feuilles de farigoulette, primeurs et herbacés à cru.
Car on la sent poindre,
on se prend à espérer qu’elle ne va pas tarder, et à l’arrivée du plat suivant,
on sait qu’on y est. La langouste est un noble crustacé, mais la langouste-puce
des alentours de Port Cros, est, à mon goût, un mets de choix impérial !
Elle est fabuleusement traitée en ce plat scindée et partagée avec le poisson
le plus commun sur ces littoraux, le mulet (appelé la mule en patois, et le
poutardier en prout-prout chabada). Ce mélange de commun et de noblesse, ce jeu
de cru et mi-cru (à gauche) et mi-cuit et cuit (à droite), et tout le reste qui
entre en valse marine rend ce plat passionnant. On attaque à gauche, se régale
des nuances de non-cuisson et de chair, tantôt d’une pureté paradisiaque avec
une mâche d’enfer (pour la langouste) tantôt d’une simplicité réjouissante
(pour la mule). On nous apporte également une sauce super-cocktail,
coraillée-épaissie, dans laquelle on trempe discrètement un peu d’antenne et
plus que de raison un bout de queue, juste assez attaché à la carapace pour
pouvoir la prendre avec les doigts et l’engouffrer allègrement.
Langouste puce et poutardier en deux services,
Nacrés et cuits dans leur eau de mer,
Grains croquants de caviar, haricots marins, infusion à la verveine.
On passe à droite,
ensuite, avec un chaud-tiède moins impressionnant en goût, mais plus en
plaisir, et qui complète parfaitement la volonté du Chef : une tranche de
mulet surmontée d’une quenelle de caviar osciètre et un tronçon de queue de
langouste, à la cuisson subtile et parfaite, trônant dans une écume de verveine
pour un délice certain.
Puis tout s’enchaine
dans un grand bonheur, on nous dépose alors un petit aperçu de ce qu’on loupe à
la carte, avec un plat-souvenir transcendé, les fameuses Pâtes Zitone, fourrées
foiegrasettruffes, de Nomicos et Lasserre, titillé par l’air de la mer à la
sauce Donckele. Avec cette écume de basilic qui répond aussi parfaitement
qu’étonnamment : la friandise pure d’un jus brun poussé à la truffe, avec
sa puissance confinant à la pesanteur mais qui est très agréablement éclaircie
par le basilic-végétal. Le reste ne fait pas que de la figuration, les
artichauts et le parmesan nous ramenant les pieds sur terre. Mais c’est le
plaisir de plonger la fourchette dans ces pâtes truffée, où le foie gras se
fait discret et apporte juste un voile de gourmandise supplémentaire.
La pâte zitone de foie gras truffé, gratinée au parmesan de montagne,
Artichauts violets étuvés au basilic.
Et parce que les grandes
joies se prennent toujours par paquet de trois, le plat suivant finit de nous installer
dans une galaxie d’étoiles géniales. Du loup, une carabinieros, un clams, des
courgettes et une sauce vierge, voilà tout ce qu’il a fallu pour finir de nous
scotcher au plafond et de nous faire oublier l’addition. Le poisson à la
cuisson parfaite, une fois encore et peut-être plus encore, il est blanc nacré
autour et rose de pêche (du jour) au cœur, il est surmonté de la chair de cette
fameuse gambas écarlate d’Espagne qui complète en goût et texture, sans
dénaturer. Dans la queue de la dite crevette-mythique se cache un petit secret,
à vous de le découvrir et de le gratter d’une dent agile.
Loup vêtu de fines tranches de carabineros cuit longuement,
Vierge simplissime de « Roma » et clams au citron vert,
Rose de courgettes violon légèrement fumées et origan sauvage.
Le plat est moins
évident que le précédent, moins compliqué que l’immense langouste&mulet,
mais plus direct grâce à cette sauce vierge tellement agréable. On nous en
nappe le tronçon, mais on ne se fait pas prier pour en ajouter, encore et
encore, pour la finir avec du pain et en se léchant discrètement les doigts.
Dans ce plat, le loup trouve enfin sa vraie différence avec son frangin, le bar
d’Atlantique, il est alangui par la candeur de la Méditerrannée et cela lui va
à ravir. Le clams, gros mollusque avec son écume citron vert ajoute un peu de
fermeté à ce plat, les courgettes fumées-grillées finissant le travail et cette
triplette vraiment impressionnante de justesse, de plaisir, vaut à elle seule
les trois étoiles décernée par Michelin en début d’année.
Après, difficile de nous
faire monter plus haut, il faut l’avouer, on nous propose même plutôt de faire
un break avec une sorte de trou prouvençau,
composé d’un granité de thym citron, d’une glace de fenouil et d’une bonne
giclée d’Absinthe d’Aix. Ce shoot fraîcheur fait du bien, même un peu trop,
mais après tout, qu’attendre d’autre d’un trou-pézien ?
Granité à la fleur de thym, sorbet fenouil de Florence,
Une flanquée d’absinthe à votre table.
Puis on arrive sur la
viande, avec l’Agneau de Sisteron, décliné légèrement, en deux services, l’un
nature, avec le baron et une côtelette à peine grillée, posée sur un lit de
serpolet et accompagnée d’un montage aubergine-tomate-oignon, une nouvelle fois
pleine d’évidence. Tout ceci pourrait paraître trop peu, ou trop simple, s’il
n’y avait ce jus-qu’au-boutiste, irréalisable chez soi, où toute la bête semble
avoir infusé.
A côté de cette assiette
trône un présentoir où un peu d’épaule du même agneau, très longtemps mijotée,
est enroulée dans une feuille d’aubergine et trempe dans une émulsion de
pimientos dans une dernière bouchée des plus intenses. Ce plat fait de peu de
matière compense ce manque par un surcroît de goût, presque usant à force de
puissance.
Le baron d’agneau au serpolet, jus embaumé d’huile d’argan,
Aubergine de Sicile et marmelade de tomates/oignons blanc.
Epaule à la cuillère, vivacité d’un jus corsé et breuvage pimientos/sarriette.
Pour ce qui est du
fromage, on retrouve une assiette fort bien construite, manquant, après les
fulgurances précédentes, d’un peu de caractère en bouche mais qui remplit
néanmoins son office et réjouit yeux, cœur et papilles. La brousse de Rove, sur
votre droite, se complète par un caillé de brebis (à gauche), légèrement glacé,
doucement fondant (au milieu) et se pare de miel de safran et de poire crue et
confite.
Le lacté de brousse du Rove, caillé de brebis au miel de safran de la Môle
Yaourt Caillolais de Marseille, poire en deux textures et huile de bouteillan.
Reste à en finir, avec
un dessert sur la pomme et la rhubarbe, d’où la rhubarbe est assez absente et
où la pomme, que j’adore toujours autant en dessert, ressort seule gagnante. Le
sorbet est beau sans être inoubliable et agréablement posé sur quelques dés de
pomme-rhubarbe poêlée. Le soufflé est bon, très bon même, mais ressemble plus à
une mousse ultra-aérée qu’à un soufflé traditionnelle.
Autour de la rhubarbe et la pomme verte ravivée au combava,
L’éphémère d’un soufflé chaud, un jus centrifugé au moment.
Bref, vous l’avez
compris, on est monté beaucoup trop haut sur la triplette langouste-pâte-loup AB/FAB
(Absolutly Fabulous) et ensuite, il n’est pas évident, pour nous, de descendre
et quasi impossible, pour le Chef, de tenir un tel niveau sur 6-8 assiettes ;
on ne lui en veut pas, car ces trois plats de (haut) rang resteront gravés
longtemps et valent l’investissement et le déplacement.
Il me faut tout de même
évoquer certaines choses moins plaisantes, comme le décor un peu mi-figue
mi-raisin de l’hôtel, que je pensais bien plus charmant en passant devant
depuis tant d’années, l’intérieur manquant de charme à mon goût. Mais le pire
reste la carte des vins, car il faut le dire, celle-ci n’est nullement au
niveau de l’adresse et fait trop la part belle aux coeff8/10 ; en clair de
simples vins, inconnus aux bataillons, sont proposés ici à largement plus de
100€ la quille, avec quasi rien en dessous de ce tarif ; alors je sais que
je suis à St Trop, mais faut-il être forcément millionnaire pour boire un coup
(ou deux) ici ?
Non pas que les « Mouton
de Petrus » à 1 000,5 000,10 000 la bouteille me choquent ou me gênent, il
en faut pour tous les coûts et tant mieux si certains se paient ça sans
réfléchir, mais pour les autres, ne pourrait-on pas avoir une sélection de
Provence ou de Rhône plus pointilleuse ?, moins onéreuse ??, non,
nous ne sommes pas tous oligarques dans la salle, certains sont simplement
passionnés et motivés…
Mais j’ai tout de même
fini par trouver bouteille à mon gosier, et le plaisir de taster le Saint
Césaire 2008 des pères de l’Abbaye de Lérins, un Chardonnay qui pousse sur une
île et qui a fait beaucoup parlé de lui dans le sérail. Il est bien chardonné
justement, avec un équilibre certain malgré le gros élevage. Le nez est brioche,
fleurs plus que fruits, et la bouche, avec son final sur une légère amertume est
équilibrée. Le gras arrive en deuxième partie de bouche et laisse un final
frais, sur des notes d’ananas après deux heures d’aération.
Il y a aussi le service
qui est un peu inconstant pour certaines recrues (estivales ?) mais qui
est magnifiquement rattrapé par un responsable de salle enchanteur, Thierry Di
Tullio, qui sait, comme peu de monde dans le métier, mettre en musique un plat
ou un menu, vous exciter plus encore l’appétit en vous renseignant.
Sa seconde
à ma table ne manquait pas de faconde, même un peu too much durant la première
moitié du menu, avant de se mettre au niveau de l’animal à table…cela c’est
terminé en quelques vannes et éclats de rires partagés fort bienvenus dans
cette salle un peu fatiguée, à la mode Ste Prothèse, et juste ragaillardie par
un couple de lesbiennes brésiliennes aux rires délicieusement bruyants.
A mon goût, même si les
tarifs font peur, il me semble bien qu’hors Mirazur de Mauro Colagreco à
Menton, ce soit la table la plus passionnante de la Côte.
Pourquoi ? Parce
qu’ici est servie une vraie cuisine de terroir magnifié, de l’essence de
Méditerranée avec le bel esprit de St Tropez dedans, un peu dans la même veine,
si le Chef poursuit encore un peu son chemin, que les Marcon et autres Jeunet
que j’ai, depuis toujours, tant aimés.
Alors un grand bravo à
la famille Delion, dernier hôtelier de grand luxe indépendant de la Côte,
d’avoir enfin laissé son Chef, un grand d’aujourd’hui et de demain,
espérons-le, faire sa cuisine et coller à l’air du temps qui ne cherche, dans
l’assiette, que l’émotion, l’âme et le goût d’un paysage.
(*) Allez, pour vous,
courageux lecteurs fidèles qui êtes arrivés aussi loin dans cet infini-récit de
gourmandin insatiable, je vous le donne ce raccourci qui confère plus de
stature à ceux qui l’empruntent (bien accompagné(es)) que bien des limousines
et autres cadeaux somptueux…parce que qu’est-ce qu’il y a de plus popu-has
been que de passer une heure à traverser le carrefour de la Foux ?
En arrivant depuis
Toulon, Hyères, Bormes ou Cavalaire, tourner à droite au carrefour de Gassin,
comme pour monter au village mais prenez directement à gauche, la petite route
qui longe un camping, poursuivre puis tourner à droite direction des Haras du
Polo Club, puis suivre le Domaine de Bourrian, enfin s’enfoncer aussi loin que
vous le désirez dans cette gracile presqu’île, si cher à mon cœur...
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