Ça faisait bien 5 ans
que je n’étais pas revenu manger chez Jean-Yves Schillinger, le trublion de la
cuisine alsaco-colmarienno-fusion…et je suis heureux de vous annoncer que rien
de primordial n’a changé, à part la 2ème étoile.
L’état d’esprit est toujours le même, le Chef est toujours bien en place au feu et au passe, avec un œil sur tout, toujours, et un mot en passant pour beaucoup de ses clients.
Et le plus important c’est que sa cuisine, sa volonté de bousculer quelque peu les habitudes est toujours vivace.
Bien sûr il y a aussi
les « frivolités » de notre temps, qu’il est souvent le premier à
ramener en Alsace mais que l’on a déjà entraperçues ici ou là, comme cet
olivier garni qui démarre le repas. Il est chargé de quelques olives variées
elles-mêmes fourrées par un gel d’olive pour un début agréable.
La suite de
l’amuse-bouche est tout de même bien plus passionnante avec cette règle plus
complexe, qui démarre par un macaron olives vertes et noires un peu discret
mais qui fait une bonne transition, ensuite on préfère largement cette
délicieuse croquetas de risotto avec une goutte de framboise. La tartelette qui
suit est bonne mais trop complexe pour s’en souvenir, après on galère à prendre
une bille de pêche qui finit sur la nappe mais on termine par un chou carrément
délicieux et tout à fait addictif au poulet-curry.
Pour débuter ce repas à
la carte, on m’offre une entrée simplifiée (merci Chef), l’Esturgeon signature,
une boîte de caviar vide mais pleine d’un tartare d’esturgeon très précisément fumé, qui
repose sur une macédoine de légumes et qui est recouverte d’un espuma de citron
jaune.
Ce plat est beaucoup moins gadget qu’il n’y paraît, tout est dans le
dosage et l’originalité n’est pas gratuite. Les légumes dont l’assaisonnement
ramène vers la Russie apportent quelque chose et l’espuma est délicieux et
vraiment efficace, proche d’une mousseline très aérienne, qui conserve intacte
une bonne partie de l’acidité du citron et en adoucit le goût ; le tout
accompagne très bien le gras de l’esturgeon, et même sans caviar osciètre
(cadeau oblige, c’est compréhensible), c’est très bon et met en appétit.
Il faut dire que j’avais
hâte de voir ce qu’était ce poisson mêlant rouget et ris de veau car c’est
typiquement le genre d’intitulé et de proposition qui me fait frétiller les
papilles d’avance, le reste de la description faite par la maître d’hôtel
achève de me convaincre. Le plat arrive
et le rouget est vraiment fabuleux visuellement, respecté dans son intégrité et
avec une belle cuisson vu l’exercice. Le ris de veau qui l’escorte est coupé en
petites escalopinettes et le jus de betterave/poisson lie le tout. Les
cannellonis sont surprenants, très (trop ?) marqués par l’amertume et les
brocolettis dont on ne s’est servi que des feuilles ou presque sont difficiles
à mâcher.
On ne retrouve pas trop de la trace des éclats du ris de veau annoncé et de l’anchoïade légère…tant pis. Par contre on vient et on revient sur le poisson, en le mêlant à plus ou moins de ris avec bonheur. Ce plat est complexe, sur l’amertume, le salin, le terrien, les textures complémentaires. C’est vraiment bien de proposer ce genre d’association osée, et, pour ma part, j’aurais même aimé que le ris de veau prenne plus de place.
Mais le meilleur est à
venir, avec ce plat-cochon incroyablement gourmand ! En voici une ode au
cochon noir de Bigorre en mode too-much (l’excès, c’est vraiment le minimum)
avec une assiette simple et pourtant imbattable en terme de plaisir. Les
cuissons sont fabuleuses de précision, la côte est bien cuite et
pourtant rosée au cœur, avec son petit gras qui évite la sécheresse. L’accord
avec un gel de yuzu est vraiment très efficace et original et remplace
génialement les habituelles déclinaisons d’Espelette.
Le petit oreiller en méga-cromesqui à droite est rempli de pieds de
cochon désossés, avec les quelques feuilles sèches et le petit pot de rémoulade
font l’effet. Mais le point de fixation du regard et de l’appétit dans cette
assiette se trouve en face avec ce morceau de poitrine incroyablement confite,
un morceau qui se couperait à la cuillère sans problème, contenant sans doute
plus de la moitié de gras et qui, dès posé sur la langue fond en se répandant dans
toute la bouche…it’s only d’la gourmandise and we like it ! J’oubliais
aussi le jus de cochon concentré que l’on verse sur l’objet du délit et qui
aide à rendre ce moment encore plus diabolique. J’en connais beaucoup, vraiment
beaucoup qui n’auraient jamais osé en venir à bout, mais vous me connaissez
maintenant, comme j’aime, je ne compte pas.
Encore une fois il
fallait oser une telle assiette viandeuse dans un 2macs, ça ne va pas plaire à tout le monde,
bref, c’est la signature de la cuisine du JY’S.
Après ça le pré-dessert,
à nouveau un peu (trop) gadget est le bienvenu car la gelée de pamplemousse
rose à croquer rafraîchit vraiment le palais ; le mojito-fruits rouge à
sec qui suit en moins intéressant à mon goût mais toujours bon.
Et sinon, comme il me
restait une once de place (quand on veut, toujours on peut) pour un peu de
faux-classicisme, je me suis jeté sur les tapas de la maison, en fait cet arbre
bien connu des habitués, rempli de tous les poncifs de la pâtisserie classique.
Après une telle orgie ce n’est vraiment pas raisonnable mais peu importe, j’ai
adoré la fausse tatin et le feuilleté-vanille, un peu moins le Paris-Brest et
le baba mais les œufs à la neige ainsi que la poire Belle-Hélène finissent de
nous achever l’envie de se plaindre de quoi que ce soit.
Ce qui est bien, même
après 5 ans sans revenir, même avec la seconde étoile, c’est que l’esprit
frondeur et farouchement osé (pour la bonne vieille ville de Colmar on
s’entend) de la cuisine est conservé.
Bien sûr j’aurais aimé un peu plus de risque encore sur le poisson et un peu moins de gourmandise sur le plat, mais ça c’est moi (toujours à chercher le goût du meilleur), le plus important est de conserver ce même état d’esprit envers et contre tout, et rien que pour ça, on peut féliciter le Chef Jean-Yves !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire