De retour de Corse où
j’ai passé deux grandes semaines de bonheur et de farniente épicurien en mode
« décrochage », à base de bouteilles et de plages fraîches, détendues
et gourmandes, j’ai craqué, et j’ai dû (on est addic-table ou on ne l’est pas)
aller taster la grande table des environs.
En Balagne, entre
Ile-Rousse et Calvi, il y a la Signoria que nous avions déjà fréquentée en 2012
(voir le compte-rendu épicurien ici)…d’ailleurs, depuis, mes contacts sur l’île
n’ont fait que confirmer mon ressenti. Mais il y a aussi la table de
« Chez Charles », à Lumio, et c’est cette table qui m’intéressait
cette année.
Tout d’abord
plongeons-nous dans le cadre, je ne reviens pas sur la fabuleuse beauté de ce
coin de Corse, un peu moins irréelle que celle du Sud, plus terre-à-mer, le
village de Lumio est croquignolet comme beaucoup, l’hôtel est beau et
certainement très confortable, la terrasse est jolie ; qu’elle dommage pourtant
qu’elle se situe au bord de cette route, heureusement pas encore trop passante
au 20 juin…mais qui fait peur pour la période 15 juillet/15 août.
Mais c’est l’assiette
qui nous intéresse plus particulièrement, alors plongeons tout de suite dans
l’amuse-bouche. On fond tout de suite pour ce beignet de fromage proprement
délicieux ; le croquant de pied de veau est plus canaille et la
polenta-saucisson corse est réjouissante…ça commence bien, bien dans la région…mais
ça je le savais déjà. On craquera donc pour le menu-dégustation.
Il débute par un
exercice de complémentarité, entre le Brocciu et le poivron, le fromage a été
séché au four et taillé au cordeau, il perd donc en humidité et en texture ce
qu’il gagne en régularité. Il fait un joli mariage avec un sorbet poivron jaune
et ciste très bon mais un peu trop froid dans le mariage à mon goût. Malgré ce détail,
tout fonctionne bien ensemble, la betterave, la figue et le piquant de poivron
rouge laisse ce qu’il faut de place au fameux fromage frais de la région.
La seconde assiette est
minimaliste mais très belle, et s’avère délicieuse. Les gamberri rossi d’ici
sont toutes petiotes et cela surprend, mais la nuance de non-cuisson est très
belle. Elles sont exquises, la chair est fondante, quasi crue (ceviche oblige) et
pourtant justement serrée. Le jeu entre ces crevettes++ et les multiples
condiments est passionnant : le cédrat les amuse bien, l’olive joue de sa
texture, le câpre à queue les excite, mais c’est clairement la poutargue qui
l’emporte, sans s’imposer.
Ensuite on nous
« imposera » le foie gras malgré les demandes répétées, c’est un peu
dommage, mais le plat est bon et il présente un mariage détonnant, alors on
oublie vite.
Le foie gras de la
maison Masse est joli, mais c’est l’accord avec un macaron de nèfle, ce petit
fruit sucré-acidulé proche visuellement de l’abricot, qui emporte le plat. Il
prolonge la mâche et la diffusion des bienfaits du gras sur le palais. Les
petites bulles de nèfles sont amusantes aussi, mais ce sont celles de crème
d’oursin que l’on retient car elles fouettent avec leur amertume certaines
autres sensations.
La suite est bienvenue
par 30° minimum, son positionnement dans le menu étonne, mais c’est bien un
trou-corse et asséché qui nous est apporté. En fait de break, il est excellent,
tellement rafraîchissant qu’il remet instantanément en appétit. La quenelle de
sorbet-granité est un peu molle, mais pleine à craquer d’un mélange
persil-fenouil-estragon-menthe qui redynamise les papilles ; elle est
posée sur un méli-mélo de verdure de ramasse (fenouil marin, menthe sauvage et
salicorne) qui pousse encore plus loin ce trou chlorophyllien.
On poursuit alors par un
plat comme une petite attention, certainement le plat le plus simple du menu,
sans doute un des meilleurs aussi. La fregola sarda est une pasta de blé dur, toute
petite et ronde, de la taille d’un demi-petit-pois, elle est cuisiné et fait
comme un risotto. Elle est infusée de safran de Porto Vecchio et enrobée de
miel de la région. Elle est finalement surmontée de quelques fleurs de jasmin.
Ces fleurs apportent plus qu’il n’y parait, elles apportent leur touche de
Paradis, car si vous avez déjà senti à plein nez le Tiaré polynésien sorti de
l’arbre, on en est très proche quand on croque la fleur. Ce petit plat apporte
un grand plaisir, du velours pour la langue et une caresse à l’esprit.
Heureusement, car
ensuite, il y a de quoi rester sur sa faim avec les deux prochains plats, non
pas qu’ils ne soient pas bon, mais parce qu’il est usant de terminer ses
assiettes en deux coups de cuillères.
Surtout le poisson, ce
Saint-Pierre dont la recette s’annonçait formidable mais qui passe trop vite,
beaucoup trop vite : à peine entré dans l’assiette, on en est déjà sorti.
Le poisson est rôti sur peau, superbement cuit, même si le jus de viande et
l’huile de lonzu sont un peu trop discrets à mon goût. L’accord avec l’artichaut
violet, la mousseline d’artichaut et l’olive taggiasche est très juste, sans
explosion, mais à l’équilibre quasi parfait. J’en aurais bien mangé 3 des
assiettes comme ça !
Pour le plat suivant,
c’est différent, étant en quête de véritable Nustrale (cette vieille race de
cochon noir autochtone) lors de mes détours corses, l’intitulé l’annonçant
fièrement m’avait sans doute fait trop rêver. Quand l’assiette arrive, toujours
aussi riquiqui, avec ce filet certes mignon, bien cuit, mais il manque une
dimension : celle de la rusticité de l’animal, qui ne ressort pas, comme
son gras incomparable. Dommage. Ce n’est pas mauvais bien sûr, c’est juste
décevant. Le mini-croquant de pied, très bien, ne remonte pas le plat à lui
seul. La compotée de pomme accompagne gentiment le tout et finalement
c’est le rouleau de pomme de terre ratte (invisible ici, purée au cœur, grillée autour) que
l’on retient le plus pour son exactitude.
Le fromage sur assiette
est gentil mais tellement « hôtel », il y a un brebis complaisamment
affiné (un peu mais pas trop), et une tome de chèvre, en dur et en mou
(espuma), accompagnée par une belle confiture fraise-nepita, agréable mais qui manque
de caractère selon moi.
Pour le dessert on débute
par la vision du chef du Fiadone ; pour ma part, cela me fait surtout penser
au « Mikimoto » de Troisgros goûté il y a 6 ans (souviens-toi de ce
grand repas marquant ICI, si tu as encore faim de lecture épicurienne). Le
citron, citron-confit, la brousse en montage, le chocolat blanc en finition, la
glace au Brocciu qui apporte une touche d’acidité lactique très agréable et qui
se repose dans les éclats-secs de citron…tout est bon et précis. Bref, c’est
tout petit/riquiqui, mais joli et efficace.
Le dernier dessert est
une nouvelle tentation incroyable qui laisse sur sa faim, malgré tous ces plats
dégustés et bien souvent (très) appréciés. C’est petit, mais, c’est surtout, on
aimerait que ce soit plus poussé en goût. Il faut dire qu’un beau chocolat de
Java, des noisettes de Cervioni (si vous ne connaissez pas et que vous en
croisez, sautez dessus, c’est formidable) et du nuciola (nutella version
corsica), ça donne envie, mais, en trois mouvements, il n’y a plus rien dans
l’assiette, et on attendait plus d’étoile dans les yeux et sur le palais.
Alors, surtout ne comprenez
pas tout de travers et ne me faites pas dire ce que je n’’ai jamais dit, oui
l’étoile est méritée pour cette table, oui le Chef Julien Diaz est bien dans sa
région et dans l’époque et il a de la cuisine dans les mains, oui ce menu est
suffisant pour le commun des mortels et « too much » pour 80% de la
clientèle internationalo-bourgeoise du lieu. Mais non, nous ne sommes pas tous
pareils, non je ne peux pas me taire car je connais bien des amateurs (jeunes
comme plus anciens) qui auraient eu la même réaction que moi face à ces
assiettes en mode-picorage…quand c’est trop peu (surtout sur la crevette, le
saint-pierre, le chocolat), c’est dommage, on reste sur sa faim et on perd en
plaisir.
Mais rassurez-vous,
j’étais bien sur cette terrasse, dans cette Corse proprement formidable et je
n’ai pas boudé mon plaisir, même si je l’ai cherché, le reste du temps, sur des
tables beaucoup plus simples et à des plages beaucoup plus belles et toutes
largement plus gourmandes, sur lesquelles je vais revenir, pour vous tenter, quand
je trouverai le temps ces prochaines semaines.
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