Quand le vendredi sonne
plus creux que d’habitude, j’en profite souvent pour faire une parenthèse
gourmande et réviser mes (adresses) classiques ; quel bonheur de passer quelques
heures en terre épicurienne, à partager un menu, sans grandes surprises certes,
mais avec beaucoup de plaisir.
Le premier est de
revenir dans cette salle que j’aime beaucoup, entre la salle à manger familiale
et la grande table de petite vallée. Le second est d’attaquer cette assiette
d’amuse-bouches qui vous pose directement dans le paysage culturel.
Sur une
table étoilée, proposer une tartine de met’ (mettwurscht pour les alsaciens,
« saucisse à bubu » pour les kaysersbergeois des eighties…hommage sincère
au bon père J.L. Bruxer en passant) pour
commencer, c’est vraiment parfait, et il fallait oser.
A côté le petit
cupcake-lardons proche mais loin du mini kougelhopf à moins d’intérêt mais
prépare au dernier point de la trilogie alsacienne : un superbe macaron au
Munster…oui au Munster, d’une justesse sans nom, on sent là les heures d’essai
pour toucher juste et restituer goût et texture du fameux fromage. Après cela,
la suite de la mise en appétit a moins d’impact, forcément, mais le simple
plaisir est toujours là et se renforce sur la quenelle de brandade (planquée
sous la tuile de pain de campagne) plus encore que sur le petit shot de
gaspacho.
Mais maintenant il est surtout
grand temps de passer au menu, on est prêt à en découdre. Arrive alors une
assiette bien montée d’une salade de homard bleu, dont la bête est un peu
éclatée en petit morceaux dont la fermeté préserve la mâche.
L’espuma
chou-fleur légèrement vanillé a bien moins d’intérêt à mon goût et la bisque
prise au fond de l’assiette semble, à première vue, sans trop de saveurs.
C’était sans compter sur la patte du chef, la bisque se révèle en
arrière-bouche, à la seconde cuillère où on l’a prise seule. Là tout se met en
place, les choux nouveaux en semoule posée sur l’espuma ramènent du craquant et
pas mal de goût, goût qui se poursuit sur une évocation prégnante de carcasse
dudit homard grâce à la bisque en gelée…c’est bon, et ce qui est meilleur
encore, c’est que cela ne se révèle pas à la première bouchée.
Ensuite je me réjouissais
de retrouver un foie gras poêlé du chef, tant je trouve qu’il maîtrise
l’exercice. Le reste de l’assiette, un peu sèche mais bien colorée, est une ode
à la terre avec moults betteraves mandolinées qui amènent le croquant et l’une
en sorbet bien glacé, posé sur une feuille d’oignon rouge.
Le foie gras ne
l’est pas du tout, gras, il est cuit très précisément et servi à bonne
température. Le meilleur moment de l’assiette sera quand vous oserez assembler
sur la fourchette sorbet betterave, le grillé de l’oignon rouge et une pointe
de foie gras…quel grand plaisir « élémentaire » !
Le poisson suivant est à
l’image de la maison, simple, classique, lisible et pourtant si difficile à
atteindre. La lotte est proprement fabuleuse, la qualité du poisson aide
forcément mais c’est la précision de cuisson qui fait tout.
Du coup la
résistance et le goût de cette chair sont respectés mais tout en la rendant
plus fondante. Elle repose dans ce qui est à l’équilibre entre la bouillabaisse
et la sauce vierge revue et corrigée ; c’est sans surprise mais beau, même
une fois l’assiette attaquée et c’est bon jusqu’à la dernière cuillerée
engouffrée.
Pour continuer de se
régaler, j’avais demandé une petite fleur au chef, pouvoir prendre le ris de
veau de la carte plutôt que celui du menu. Ce que je sentais bien, très bien
même, c’était cette promesse d’une « tartelette d’oignons
nouveaux »…grand bien m’en a pris.
Le ris de veau était impeccablement
cuit, la pommette est parfaitement meunière, blanche et compacte au cœur,
fondante en bouche, avec un goût respecté. Le jus de veau ne fait
qu’ajouter au plaisir, mais le plaisir est décuplé par la tartelette, ode à
l’oignon (ce n’est pas sale), avec la tension du presque cru matinée par la
douceur du quasi-confit. Quelques
girolles ajoutées n’enlèveront rien au bonheur de déguster cette assiette.
Après ces quelques plats
de grande « cuisine de cuisinier classique », celle qui, du
Maximilien à l’Auberge de l’Ill ne sera jamais démodée et à laquelle il faudra
toujours revenir de temps à autre, le dessert va sur le même registre. Que
faire de plus « simple » qu’une crème brulée aux quetsches, à priori
rien, et pourtant ça touche juste, ça caresse dans le sens du poil et ça cajole
les papilles, sans les brusquer, sans avoir besoin d’y penser ni de s’extasier,
juste pour le plaisir.
Car vous l’avez compris,
si j’insiste sur le côté classique de cette cuisine, elle n’en est pas moins
d’une précision tout ce qu’il y a de plus moderne et ces plats sans surprise ne manquent pas de
plaisir, bien au contraire.
Pourtant il y a quelques concessions aux modes de
notre temps, mais c’est à mon goût ce qui touche le moins au cœur, et c’est,
comme toujours, dans « le produit, la cuisson » que finalement, toute la
gourmandise se trouve.
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