Un traiteur italien on
connaît, un italien-étoilé (en France) ce n’est déjà pas courant, mais un
traiteur-italien-étoilé, ça c’est vraiment rare…et quand il se trouve à Colmar, votre serviteur ne peut qu’adorer.
Pour être plus précis,
il n’est plus étoilé Michelin depuis quelques années (20 en fait déjà) mais sa
cuisine, sur certaines assiettes, l’est assurément toujours. Cet ovni c’est
Alberto Bradi, arrivé d’Alghero, passé par les couloirs feutré au service de
quelques palaces suisses ; il débarque en 1981 à Colmar, autodidacte
complet, il fut pourtant le seul étoilé italien de province pendant de longues
années. Depuis 20 ans il est traiteur-top-quali et tenancier d’une petite table
d’hôtes dans sa boutique, c’est sur celle-ci qu’il m’est arrivé ces derniers
mois de croiser ce genre d’assiette :
Cette salade froide par
exemple, le saumon a une cuisson millimétrée et « à la seconde », posé sur un
lit de mâche et servi à peine chauffé ; l’assaisonnement apporte beaucoup
de plaisir, des herbes, des cébettes, un peu de chair de tomate fraîche, des
fenouils et du céleri branche à cru, coupé très finement, et le tout est
largement arrosé d’une huile d’olive légèrement végétale.
Mais en matière de saumon, le meilleur était sans doute celui dégusté en début d’année où les truffes étaient magnifiées, servies en roulade de saumon fumé et chèvre, très précisément dosée pour atteindre l’équilibre, qu’il s’agisse de l’épaisseur du saumon, de la quantité de chèvre et de crème, ainsi que de la truffe qui marque clairement en saveur, sans l’emporter ; tout a son importance pour faire de cette petite entrée un grand plat.
Par contre la plus belle
des entrées dégustées ces dernières semaines, qui vaut encore largement
l’étoile, c’est bien cette « marinade
d’artichauts et truffes », une entrée terrienne et légère à souhait.
Au fond de l’assiette il y avait des artichauts violets, à peine cuits, coupés très finement à la mandoline, comme les dernières truffes melanosporum (congelées pour le coup) et de très, très fines feuilles de parmesan et un peu de roquette.
Ce qui a fait la différence, c’est la « marinade », un savant mélange d’une huile d’olive très végétale (la Bosana), d’huile de truffe sélectionnée, de jus de citron et d’huile de noisette plus classique. La précision est dans le dosage bien sûr. L’équilibre se fait sur la délicatesse et une très légère amertume printanière maîtrisée ; le croquant-fondant de l’artichaut et la caresse de la truffe m’ont donné le sourire pour quelques jours.
Mais l’homme ne
travaille pas que la truffe ou le saumon, loin de là même, et en plat on
retrouve souvent de simples évidences, comme ces escalopes de veau au citron.
Ce qui fait la différence, c’est la somme de détails. Tailler dans un beau
quasi de veau, le cuire très légèrement est primordial mais le jus fait aussi beaucoup, c’est une
réduction de pas mal de jus de citron pour déglacer et un peu moins de jus de viande, servi avec
de fines tagliatelles au beurre qui apportent la douceur nécessaire à
l’équilibre et encore un peu de gourmandise au tout.
Il a même réussi à me
faire adorer une simple polenta de la mer, c’est dire… ce fut une polenta très
fondante et granuleuse (sans être pesante), avec un vrai jus de crustacés aux
fumets de carapace, et des coques fraîches avec quelques dés de tomate, qui apportent
un nouveau visage à ce plat d’hiver et de pauvre pour en faire un riche et succulent
plat de début de printemps.
Mais ce que j’ai le plus adoré
cet hiver, c’est ce plat de rouget en caponatina, parfait pour réchauffer le
cœur et l’esprit. C’est une recette sicilienne, où les filets de rougets chantent
avec un aigre-doux d’aubergines. Le rouget est bien épais, avec la peau irisée
et la chair serrée et nacrée, signe d’une très belle cuisson, mais ce sont clairement les aubergines qui retiennent l’attention. Elles se mêlent a des raisins
de Corinthe, avec des câpres, des pignons de pins, des oignons confits et de
l’ail fondant, surprise cachée au cœur de ce mélange tout en douceur.
Après cela on passe plus vite sur les desserts, bien moins cuisinés et loin des prouesses actuelles de nos plus belles tables aux étoiles, mais on retient tout de même un exercice de style obligatoire : un tiramisu de compétition, avec un mascarpone délicat mais tout de même très caressant, un biscuit justement imbibé de café et de liqueur de café et ce qu’il faut de bon chocolat saupoudré.
Ce dessert, ces plats
sont incontestablement faits avec le cœur, mais ce n’est pas suffisant pour
retenir mon attention et passer sur le Blog d’Epicure : pour cela il faut
un supplément d’âme, et il l’a, c’est certain.
Il a aussi une patte sans égal dans la région à mon goût, et pour tout vous dire, même si il m’arrive de travailler pour lui, c’est en totale indépendance et juste pour le plaisir que j’écris ces quelques lignes pour vous aussi, car je sais que j’ai de nombreux lecteurs qui ne veulent ou ne peuvent casser la tirelire à chaque fois qu’ils souhaitent (se) faire plaisir.
Cherchez, goûtez,
partagez, vous aussi vous trouverez ce genre d’adresse géniale pour manger des
étoiles au tiers ou au quart du prix de nos chers happy few².
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